mardi 28 octobre 2008

Les limites du dialogue en matière de sondages sur l’ÉCR

J’avais trouvé plutôt problématique l’analyse présentée par Jean-Pierre Proulx sur la constante des sondages en faveur du programme Éthique et culture religieuse. J’ai exposé les lacunes de son article «La majorité souhaite un enseignement non confessionnel» (Le Devoir, 19 septembre 2008) dans un billet précédent ÉCR en débat : Une interprétation douteuse des sondages sur l’enseignement religieux.

Soit dit en passant, je me pose de sérieuses questions sur la manière dont on fait intervenir les sondages dans les nouvelles et dans le débat public en général. Sur la question des changements en enseignement moral et religieux, depuis dix ans, on assiste à une utilisation faussement scientifique des sondages pour défendre une cause préétablie alors qu’ils devraient servir comme outils pour mieux appréhender la réalité sociale. Ce sont les préoccupations qui m’animent en abordant le présent cas, pour mettre de l’avant quelques interrogations et hypothèses.

Voilà qu’à la suite de la publication des résultats du récent sondage de l'Association des parents catholiques du Québec (APCQ) , le professeur y va encore de son analyse sur la portée de ce sondage en défendant la «valeurs» des «bons sondages» qui manifestent l’appui de la majorité et la «sagesse» de la décision gouvernementale. Il fait paraître dans le blogue du RAEQ un texte sous le titre À propos d'un récent sondage sur le programme ECR. Où loge la sagesse? (24 octobre 2008).

Vous pourrez prendre connaissance de son billet sur le site d’origine, je vous livre ici le contenu de mon commentaire et l’échange qui s’en est suivi, jusqu’à ce que le «dialogue» prenne fin faute de… (à vous de juger)


1- Commentaire de: Roger Girard (10/25/08)


Votre billet cherche à préciser certains éléments de manière à justifier le programme Éthique et culture religieuse, maintenant obligatoire au primaire et au secondaire. L’intention est légitime, mais les arguments suscitent certaines questions et même des réserves sérieuses.


Pourquoi minimiser la signification du récent sondage de l’APCQ? Vous invoquez la question de la «désirabilité sociale» comme un facteur qui aurait fortement accentué l’accord des répondants. En dépit de votre référence à des spécialistes, vous vous trompez sans doute de «phénomène explicatif». Voici une citation éclairante à ce propos :

«Le concept de désirabilité sociale entendu comme étant «la tendance d’un individu à admettre et à adopter les traits et les comportements qui sont désirables ou acceptables, et à rejeter, à l’inverse, ceux qui ne le sont pas» [Zerbe et Paulhus, 1983] traduit l’influence de la norme sociale dans les réponses apportées aux enquêtes. Autrement dit, quel que soit son avis ou son comportement, l’individu donnera la réponse qui lui semble être socialement acceptable.»(cf. le site site COMINDUS/Borel, consulté le 24 octobre 2008)


Vous trouvez que ce n’est pas la bonne question à poser, mais on doit prendre les résultats pour ce qu’ils manifestent, soit la répartition très probable des opinions de la population sur la question posée.


Vous avez bien raison de rappeler qu’il serait inacceptable de «gouverner par sondage». Mais c’est une tendance bien normale pour les élus de «décider ce qui est le plus sage» est tenant compte de ce qui semble le plus sage aussi aux yeux de leurs concitoyens. Ils représentent le peuple, on ne peut leur reprocher d’être à l’écoute de celui-ci. Dans l’hypothèse où la nécessité d’une décision ne s’avère pas être partagée par la population, les élus prendront toutes les dispositions possibles pour exposer les motifs de leur décision (comme la chose est arrivée pour l’obligation de la ceinture de sécurité en auto). Lors de grandes questions, on procède évidemment à un vote référendaire ou électoral. Dans le cas qui nous occupe, ce sont les élus qui ont fait référence à l’acceptation populaire, il faut croire qu’il s’agit d’un motif important pour eux. D’après la teneur des décisions et de leurs justifications en 2000 et en 2005, je considère que «l’évolution de la population», telle que pressentie alors, représente une raison déterminante d’en venir à étendre l’obligation du programme Éthique et culture religieuse à tous les élèves. Bien entendu, d’autres facteurs ont joué, et certains ont provoqué la précipitation des étapes de réalisation du projet, de sorte que l’on se retrouve actuellement avec les problèmes que l’on connaît.


De plus, si l’on doit se fonder sur des grands choix de société, telle la «mission de socialisation» impartie à l’école, il est abusif de le faire en laissant entendre que ces «buts sociétaux» doivent nécessairement se concrétiser de telle ou telle manière. La préoccupation du vivre-ensemble, la norme d’égalité devant la loi, la conformité aux chartes ne constituent pas un livre d’instructions pratiques. J’imagine qu’il existe plus d’une modalité d’application.


Il y a une modalité que vous écartez en raison de «la gestion pédagogique de la diversité» : l’offre de multiples programmes confessionnels… Que le système soit devenu «impraticable», c’est facile à admettre, mais a-t-on fixé des paramètres appropriés pour le rendre praticable? Déjà, pour des raisons d’organisation scolaire et de principes sociopolitiques, bien des décideurs et des leaders d’opinion privilégiaient le cours commun et obligatoire. Pourquoi n’a-t-on pas mieux expliquer au public que cette modalité était matériellement impossible ou du moins trop coûteuse? (C’est tout de même la position de 26% des mémoires traitant de programmes à la commission parlementaire en 1999.) Votre allusion aux «groupes minoritaires» possiblement mal servis nous ramène au profond dilemme qu’a cherché à élucider la commission Bouchard-Taylor : comment la protection des groupes minoritaires peut-elle s’articuler avec la sauvegarde de la majorité? Mais il vaut mieux examiner cela en pratique dans les écoles.


Votre argument pastoral est tout à votre honneur. Il est bon de rappeler que des parents catholiques ont tout intérêt à suivre la voie indiquée par leurs évêques… Mais quand vous signalez que «l’éducation de la foi [ne] se fasse plus à l’école», vous devriez vous rappeler que c’est depuis 1984 que le virage s’est fait, avec les «Orientations pastorales» et que les cours d’enseignement religieux confessionnel étaient définies depuis ce temps en objectifs éducatifs et non catéchétiques. Il y a quelque chose à déchiffrer dans les attentes des parents et je ne suis pas certain que les évêques l’aient réussi mieux que le Ministère. Du côté des responsables ecclésiaux, on voit surtout une heureuse conséquence, celle de vivifier la communauté paroissiale en s’occupant de la formation à la vie chrétienne. Dans son «témoignage public», Mgr Morissette rappelle cependant que«les parents ont à être vigilants à l’égard de ce qui se passe avec le cours Éthique et culture religieuse» (étant les mieux placés à cet effet) : un conseil peu entendu jusqu’ici.


Malgré le dernier sondage, vous pouvez ainsi continuer d’affirmer que, la sagesse de la décision gouvernementale reflétant celle de la population, le présent programme «rejoint les aspirations d’une majorité de Québécois». On pourrait penser ici aux aspirations profondes ou implicites, mais vous référez au texte que vous avez signé le 19 septembre dans Le Devoir, «La majorité souhaite un enseignement non confessionnel». Malheureusement, votre interprétation laisse voir, à mon avis, de graves problèmes de méthode. Un examen critique de votre démarche révèle, entre autres, que vous n’avez pas tenu compte de la marge d’erreur en décrétant qu’il y a une majorité, que vous avez amalgamé des réponses différentes dans votre grille interprétative et que vous aviez sélectionné des sondages convergents. Je ne reprendrai pas ici les explications que je développe dans le billet «ÉCR en débat : une interprétation douteuse des sondages sur l’enseignement religieux» (cf. le blogue «ethiqueetculturereligieuse»). Je vous invite à en prendre connaissance; je compte bien avoir vos réactions pour me réajuster s’il y a lieu.


Où loge la sagesse? Sans doute dans nos efforts pour chercher à clarifier ensemble ce qui fait l’objet de dissension dans la population et dans cette recherche commune de vérité qui doit nourrir le vivre-ensemble de notre société.

PermalienPermalien 10/25/08 @ 20:41


2- Commentaire de: Jean-Pierre Proulx (10/26/08)


M. Girard,


J’admets sans difficulté aucune que les personnes qui ont répondu à la question du sondage de l’Association des parents catholiques n’ont pas dit le contraire de ce qu’ils pensaient. J’admets tout autant que le recours au concept sociologique de « désirabilité sociale », tel que vous le rapportez n’est pas adéquat. En revanche, je soutiens qu'une question qui a pour objet la liberté induit plus spontanément une réponse favorable parce que la liberté est un bien particulièrement désirable. Cela dit et dans cette mesure, je ne conteste pas que la répartition des répondants telle qu’observée est « très probable ».


Mais le véritable débat ne loge pas à ce niveau. Il se situe au niveau des conséquences et des difficultés qu’entraînerait la possibilité pour les parents d’un choix entre enseignement confessionnel et le programme ECER. J’ai réagi au sondage de l’APCQ pour illustrer ces conséquences.


Mais je m’arrête là. Je pourrais bien continuer d’argumenter avec vous à cet égard – le débat intellectuel m’est agréable – mais, dans l'ordre de l'action, cela n’est tplus pertinent. L’exercice est inutile et dépassé. Car il y a un temps pour délibérer (il a duré huit ans!), un temps pour décider et un temps pour mettre en œuvre. On en est à la mise en œuvre du programme.

PermalienPermalien 10/26/08 @ 13:40


3- Commentaire de: Roger Girard (10/27/08)


M. Proulx,


Si le temps n’est plus à la discussion mais à l’action pour la mise en œuvre du programme, pourquoi vous attardez-vous à écrire des commentaires sur les sondages? Et pourquoi livrer des textes à des lecteurs (de journaux et de blogue) s’ils sont «indiscutables»?

Je vous comprends d’être harassé par la longueur du débat, lui ayant consacré des énergies considérables, mais il risque malheureusement de se prolonger encore longtemps si l’on ne peut compter sur un minimum de vision commune de cette réalité sociale qui nous préoccupe de part et d’autre.

PermalienPermalien 10/27/08 @ 08:43


4- Commentaire de: Jean-Pierre Proulx (10/27/08)


Parce que, selon les circonstances, j'estime que cela est utile. Ce fut le cas, à propos du sondage de l'ACPQ. Ce n'est pas une question de principe. En ce qui concerne ce billet, vous m'avez répondu, je vous ai répondu, J'ai dit ce que j'avais à dire. Il ne me paraît pas pertinent d'aller plus loin.

10/27/08 @ 08:58

jeudi 9 octobre 2008

ÉCR en débat: une interprétation douteuse des sondages sur l’enseignement religieux

(version évolutive)


Dans un texte paru le 19 septembre dernier, sous le titre «La majorité souhaite un enseignement non confessionnel», le professeur Jean-Pierre Proulx soutient que les résultats du sondage Léger Marketing Le Devoir réalisé en août 2008 viennent confirmer «la tendance observée avec constance depuis 1998 quant aux attentes des Québécois concernant la place de la religion dans l'enseignement à l'école».

Bien qu’elle reflète une idée largement partagée par les leaders d’opinion des milieux universitaire, syndical et autres, la thèse avancée avec chiffres et tableaux à l’appui est-elle aussi solide que l’auteur le prétend? La question est d’autant plus importante que la décision de rendre obligatoire le programme Éthique et culture religieuse avec la loi 95 en 2005 suppose une ouverture de l’opinion publique à l’égard de l’enseignement de la religion à l’école.

En effet, il faut rappeler l’explication du ministre François Legault, en 2000, lors de l’adoption de la loi 118 qui instaurait un programme Éthique et culture religieuse pour la fin du secondaire seulement en conservant le régime d’option entre un enseignement moral et religieux confessionnel (catholique ou protestant) et un enseignement moral uniquement. Celui-ci avait alors déclaré qu’il convenait «d’accompagner le Québec dans son évolution socioreligieuse, sans chercher à résister à cette évolution, sans chercher non plus à la téléguider à distance du pays réel». C’est dire que les élus estimaient en 2005 que la population était prête pour ce virage crucial en la matière, car ils auraient hésité à adopter la loi 95 s’ils avaient pensé que cette «évolution socioreligieuse» ne s’était pas réalisée depuis 2000. Les consultations en commission parlementaire et les débats à l’assemblée nationale n’ont toutefois pas donné lieu à une discussion des fondements empiriques de cette perception de la société québécoise. Dans son communiqué de presse du 5 mai 2005, le ministre Fournier avait déjà affirmé que le nouveau programme était «largement souhaité par une majorité de Québécois» et le site ministériel reprend encore aujourd’hui cette allégation comme allant de soi. La chose est peut-être vraie, mais sans doute pas sur la base des données disponibles.

En réactualisant ainsi l’argument statistique de la majorité en faveur du nouveau programme, dans le sillage de l’avis (février 2005) présenté par le Conseil supérieur de l’éducation qu’il présidait alors, le professeur Proulx nous donne l’occasion de porter un nouveau regard sur les sondages utilisés et sur l’interprétation qui en est proposée. Il y a quelques mois, dans présent blogue et dans celui du RAEQ, j'ai eu l'occasion de débattre de cette question avec Jean-Pierre Proulx: invité à se prononcer sur une possible remise en question des avancés de l'avis du Conseil. il avait refusé en invoquant son droit ou son devoir de réserve...Voici brièvement trois remarques de nature à remettre en question la constance de la dite «tendance majoritaire» ressortant des sondages.

1- L’ignorance de la marge d’erreur

Le sondage Léger Marketing de 2008 rapporte bien que 52% des répondants ont jugé préférable d’offrir «le nouveau cours d’éthique et de culture religieuse», mais le rapport précise bien que l’échantillon présente une «marge d’erreur maximale de ±3,4%, 19 fois sur 20». C’est dire que le score 52% doit plutôt être considéré comme se situant entre 48.6% et 56.4% dans 95% des cas. Pour certains spécialistes, si l’on désire augmenter le niveau de fiabilité à 99%, la marge d’erreur grimpe alors à 4,4%. En tenant compte de la marge d’erreur, on ne peut donc conclure à une nette majorité absolue, si minime soit-elle.

2- L’amalgame des questions dans la grille interprétative

S’il est difficile d’interpréter un sondage avec certitude ou du moins selon une méthode qui permette d’éviter de prêter aux résultats une signification indue, la tâche devient encore plus complexe et plus risquée lorsque l’on établit des liens entre plusieurs sondages. Le tableau 1 du professeur Proulx présume que d’un sondage à l’autre, les questions ont la même signification et qu’elles entrent simplement sous la rubrique annoncée. Mais rien n’est assuré là-dessus. Par exemple, dans le sondage du CRIC en 2004, il est possible que des répondants du Québec se soient prononcés en faveur de «renseigner les enfants sur toutes les grandes religions du monde» en ayant en tête que cela se faisait déjà dans l’école avec les programmes d’enseignements moral et religion catholique et protestant suivis par la majeure partie des enfants. J’ai tenu à vérifier cette hypothèse auprès de la responsable du sondage à cette époque, madame Gina Bishop, et elle m’a confirmé par écrit que cela a pu se produire. Il est donc présomptueux de considérer les résultats à cette réponse comme équivalents au choix de l’énoncé «le nouveau cours d’éthique et de culture religieuse». Dans les sondages ici mis à contribution, les répondants n’ont certes pas saisi les sujets traités d’une manière aussi uniforme que lors d’enquête sur des produits commerciaux ou sur des candidats politiques bien identifiés, et la corrélation des scores d’un sondage à l’autre devient par conséquent plus délicate. Faute de considérer le sens propre de chaque question dans chaque sondage, l’exercice risque de fausser l’analyse sociale en réifiant l’opinion publique.

3- La sélection de sondages convergents

Avec raison, le professeur Proulx fait appel à des sondages réalisés de manière rigoureuse, par des firmes professionnelles. Mais pourquoi avoir écarté un sondage mené en même temps que celui de la Coalition pour la déconfessionnalisation du système scolaire en février 2005, qui fut produit également par Léger Marketing et peut-être auprès du même échantillonnage? Le sondage en cause est donc tout aussi «scientifique» que les autres, figurant d’ailleurs dans le répertoire Opinéduq dont il est le maître d’œuvre. En dépit d’une faible notoriété, ce sondage demandé par l’Association des études canadiennes s’avère tout autant susceptible d’apporter un éclairage valable sur les attentes de la population : il vient cependant infirmer la «tendance» défendue par le professeur Proulx. À titre d’indication, la seule mention médiatique retracée, un article dans The Gazette le 17 février 2005, portait ce titre plutôt à contre-courant : «Most Quebecers favour religion in school».

Et que penser du refus de prendre en compte le sondage de CROP de 2007, sous le prétexte que celui-ci aurait insistait sur la liberté au détriment de la considération des «bonnes et légitimes raisons» qui peuvent justifier les contraintes imposées par la loi. Ce sondage risquait évidemment de mettre à mal la «tendance» si bien exprimée par les sondages retenus.

En somme, la constance que démontre le texte du professeur Proulx tient moins des statistiques que de la démarche interprétative. Face aux problèmes en éducation, comme dans d’autres domaines, le recours à des constructions factices de l’opinion publique ne peut que compromettre la délibération en vue du bien commun et la crédibilité des solutions mises de l’avant. Au-delà des convictions personnelles et des représentations convenues, s’appliquer à bien percevoir la société existante que l’on désire améliorer de quelque façon. Tout le défi est là!


lundi 8 septembre 2008

ÉCR : ne pas prendre les parents pour des enfants d’école

Les événements des derniers jours laissent présager que plusieurs parents ne démordront pas facilement de leur conviction d’être lésés dans leurs droits et responsabilités d’éducateurs de leur propre enfant. L’imposition du programme Éthique et culture religieuse leur apparaît injustifiée eu égard, entre autres, à l’exercice de la liberté de conscience et de religion pour l’éducation de leur enfant ainsi qu’aux dispositions contraignantes de la loi 95, assorties d’une modification de la Charte des droits et libertés de la personne. Le spectre d’un interminable bras de fer juridique pointe déjà à l’horizon, d’autant plus qu’une décision de cour laissera immanquablement un relent d’amertume chez les gens qui sortiront perdants de l’affaire. Comment se fait-il que nous en soyons rendus là? Plus que jamais, il vaudrait la peine de chercher à mieux comprendre ce que nous vivons comme société sur cette question lancinante de «la place de la religion à l’école». Se pourrait-il que l’on ait escamoté un ou deux chapitres de notre histoire récente à ce sujet.

Lors des rencontres à Valcourt et à St-Cyrille les 5 et 6 septembre derniers,, la réaction des responsables ministériels me semble un peu trop paternaliste face aux parents «récalcitrants». Quand on se limite à répéter les deux grandes finalités du programme, on ne fait qu’attiser la méfiance en évoquant ces «belles» valeurs qui servent de crémage sur un gâteau jugé nuisible à la santé. Quand on leur dit simplement que dorénavant «la transmission de la foi» n’est plus l’affaire de l’école et que c’est à la paroisse de s’en occuper, on rappelle ce que les parents savent puisque la chose est de mise depuis 20 ans. D’ailleurs, on oublie alors que plusieurs des parents contestataires, d’obédience protestante, s’emploient déjà à une forte transmission religieuse dans leur famille et dans leurs communautés. Le problème loge donc ailleurs. Sans envisager ici le fait que même des parents ne professant aucune religion demandent également l’exemption.

Se mettre davantage à l’écoute des parents afin de percevoir plus clairement leurs attentes et leurs revendications de sorte que les interventions à leur endroit permettraient d’explorer certains «accommodements». Peut-être aussi vérifier si les consultations ont été vraiment assez claires et complètes, et si le programme répond suffisamment aux préoccupations éducatives des parents en matière de formation éthique et de culture religieuse. Il ne suffit pas de dire que les enseignants combleront dès cette année la formation manquante pour éteindre les inquiétudes reliées au programme lui-même.

Espérons que le rapport remis par les représentants ministériels à la suite des deux rencontre aide la Ministre à trouver rapidement des pistes de solution, au moins pour la présente année scolaire.

jeudi 21 août 2008

Pour les difficultés en ÉCR, les enseignants seront les premiers blâmés (Dossier CRIFPE, prise 3)

Tout porte à croire que les enseignantes et les enseignants qui seront chargés du nouveau cours Éthique et culture religieuse en septembre prochain n’ont pas reçu la formation adéquate pour ce programme. Le constat que nous livre le dossier du dernier bulletin Formation et Profession (du CRIFPE) trouve une confirmation très claire et bien appuyée avec le dossier paru dans Le Soleil les 26 et 27 juillet 2008 sous la plume de la journaliste Daphnée Dion-Viens. (Les articles sont d’ailleurs reproduits sur le site Infobourg.)

Mais s’il survient des problème dans les écoles concernant le programme Éthique et culture religieuse (et plusieurs personnes bien avisées le prévoient), qui tiendra-t-on responsable? Il y a fort à parier que la responsabilité sera attribuée à l’enseignante ou à l’enseignant en classe. En quelques mots, voici pourquoi.

On ne peut s’empêcher de penser que les responsables au Ministère et au palier local se montreront très réticents à rappeler le manque de temps et de ressources pour l’implantation, de même qu’à souligner les difficultés inhérentes au programme dont les finalités prometteuses ne s’appuient pas sur toutes les précisions conceptuelles et pédagogiques nécessaires. D’ailleurs, comme ce fut le cas avec l’appropriation du «renouveau pédagogique», les gestionnaires ont parfois jugé que des enseignants exprimaient des réticences simplement parce qu’il avaient «peur du changement».

Le blâme tombera sur le personnel enseignant aussi et surtout parce que le programme exige d’adopter une nouvelle «posture professionnelle» et que la plupart des situations problématiques pouvant survenir en classe seront facilement reliés à une carence au plan de cette «posture professionnelle» fondée sur «un jugement empreint d’objectivité et d’impartialité»… Et comme le recours à la «posture professionnelle» semble avoir servi d’expédient aux difficultés de clarification pédagogique des composantes officielles d’un programme d’études, le personnel enseignant a à assumer, dans ses manières de réagir et de se comporter, les lacunes et les incohérences que mettra à jour l’application concrète du programme dans des classes «ordinaires», bien différentes de celles qui ont vécu l’expérimentation. Les enseignants ne retrouvent pas dans le programme lui-même ce que signifie cette «objectivité» et cette «impartialité» en classe, de sorte qu’ils ont à en déduire eux-mêmes la teneur et les applications. Leur bonne volonté ne pourra suffire à les disculper des soupçons de comportements arbitraires devant tel ou tel cas litigieux pour les élèves, pour leurs parents et même pour tout groupe religieux ou convictionnel visé. Les responsables scolaires pourront toujours alléguer un manque au plan de la «posture professionnelle» comme cause du problème…

Dans leur empressement à produire et à implanter le programme, un détail a échappé aux responsables : on ne change pas de «posture professionnelle» comme on change de chemise. C’est une entreprise de longue haleine, liée à la formation professionnelle dans ses dimensions psychosociales, qui s’étend sur des années, selon les spécialistes de cette question. Alors, prévoir dans le «kit» d’appropriation du nouveau programme le développement d’une nouvelle posture professionnelle, comme si l’opération pouvait être réalisée avec quelques jours de formation, tout en faisant de cette «posture» un paramètre incontournable de la mise en œuvre du programme, tout cela tient plus du rêve que du réalisme.

D’ailleurs, les auteurs du dossier du CRIFPE expriment ouvertement les grandes difficultés à adopter cette posture professionnelle exigée. Ainsi, pour Suzanne Rousseau, de l’UQTR, «Prétendre que des savoirs limités puissent garantir une posture d’objectivité, voire de neutralité est un leurre». De son côté, Mireille Estivalèzes, de l’Université de Montréal, énonce que « la posture impartiale semble un objectif difficile à atteindre. Pour certains enseignants, le changement de posture demandé constitue parfois une véritable reconversion…» Sans cette «posture», faut-il le rappeler, le programme risque de produire des résultats contraires à ceux recherchés!

Autre facteur important, les enseignantes et les enseignants ne pourront compter sur leurs syndicats pour les défendre en cas de «pépins». Ces derniers se sont débattus, particulièrement depuis les États généraux de l’éducation en 1995 et à chaque consultations depuis, pour compléter la laïcisation du système scolaire en enlevant l’enseignement religieux confessionnel. Le cours ÉCR que nous avons aujourd’hui se présente comme l’ultime et incontournable étape. Alors, que personne ne vienne compromettre la réalisation de cet objectif «historique». Comme le souligne Jean-Pierre Proulx dans le dossier, les responsables syndicaux semblent maintenant satisfaits que le programme soit implanté et se montrent peu loquaces sur les conditions de réussite à respecter. On se souviendra que le président de la CSQ, Réjean Parent, déclarait en décembre dernier ne pas douter que les enseignants seraient tout à fait prêts pour enseigner le programme ÉCR en septembre 2008. Il faisait alors appel à leur professionnalisme : qui osera mettre sa parole en doute?

Dans les circonstances, il est fort possible que plusieurs titulaires du primaire restreignent énormément le temps consacré à ce programme, pour éviter des problèmes de tous côtés… On ne pourra leur en vouloir d’éviter le plus possible les inconvénients d’un programme difficile à appliquer, peu adapté aux élèves et pour lequel ils sont encore en attente de formation. Si jamais des élèves de leur groupe obtenaient une exemption pour des motifs de liberté de religion et de conscience, ils n’auraient sans doute pas à être retirés ni longtemps, ni fréquemment!

Nul ne peut en douter, même s’ils ne sont pas les premiers responsables de la situation, les enseignants seront les premiers blâmés : ils sont pris dans le système et ne peuvent plus refuser. Ils sont présumés avoir été consultés et préparés adéquatement. Qui les défendra en mettant en cause le programme, avec «sa lourdeur et les défis qu’il constitue» (Suzanne Rousseau), ou en pointant les piètres conditions de formation et de mise en œuvre?

En définitive, la réaction des parents insatisfaits et inquiets, jusqu’à demander l’exemption pour leur enfant, représente peut-être la seule chance de manifester clairement que le programme, malgré ses promesses et l’enthousiasme de certains, comporte des problèmes jusqu’ici tenus dans l’ombre mais qui exigent d’être considérés avec soin. C’est peut-être de cette manière, en prenant en compte lecontexte réel d'application du programme, que l’on aidera les enseignants et les enseignantes à agir avec tout le professionnalisme dont ils sont capables.

mercredi 20 août 2008

Le dossier du CRIFPE de nouveau accessible

Le récent bulletin du CRIFPE, Formation et Profession, portant sur le programme Éthique et culture religieuse, est enfin de retour sur le site d'origine.Un document révélateur à bien des égards que nous avons tous avantage à lire et à discuter. C'est pourquoi le présent blogue y va de quelques bilets.

mardi 12 août 2008

L’université devient-elle perméable aux questions des parents?

Il y a un certain temps, j’avais découvert un site tenu par des étudiants de l’UQAM : «F.E.C.R. Formation Éthique et Culture Religieuse». J’avais d’ailleurs suggéré ce site sur mon blogue. Mais je ne voyais pas de développement. Heureusement, on a ajouté du nouveau ces derniers jours. Il s’agit d’une mention des positions de parents sur le nouveau programme commun et obligatoire. On y retrouve même l’excellente vidéo d’une rencontre d’information de la CLÉ déjà sur YOUTUBE.

«Bien que tombant souvent dans l’extrême, le fondement de leurs points de vue est pertinent, car la question fondamentale de leur malaise est celle-ci: Est-ce que le cours de ECR est neutre? À méditer!», peut-on lire.

Alors que les universitaires ont très peu parlé des attentes des parents par rapport à l’enseignement en matière religieuse, et que ceux qui l’ont fait ont plutôt jugé inopportunes, voire «rétrogrades», les appréhensions des parents, voici que ces étudiants manifestent une ouverture à la préoccupation fondamentale quant à la «neutralité» effective du programme… Pour moi, c’est une première (que l’on me renseigne si je me trompe)

De quoi étendre et enrichir le débat sur la question. Une histoire à suivre.

jeudi 7 août 2008

Georges Leroux mise sur une signification du dialogue absente du programme ÉCR (Dossier du CRIFPE, prise 2)

Le récent bulletin du CRIFPE, Formation et Profession, porte sur le programme Éthique et culture religieuse. Comme c’est le cas pour chaque dossier, il présente le compte rendu d’une rencontre avec un témoin privilégié du domaine. Des questions furent donc posées au professeur Georges Leroux, qui a collaboré de près à l’élaboration du programme.

Parmi les explications apportées par le réputé philosophe qui est intervenu à maintes reprises sur le sujet, peu de choses vraiment nouvelles, si ce n’est sur la question du dialogue.

On se rappellera que ce thème fait l'objet d’une compétence disciplinaire («pratiquer le dialogue») sensé faire le lien entre les deux autres («réfléchir sur des questions éthiques« et «manifester une compréhension du phénomène religieux»). Mais, de toute évidence, le dialogue tel que véhiculé par le programme est de nature plutôt rationnelle et philosophique et l’on peut douter qu’il puisse nourrir le développement d’une culture religieuse authentique. J’ai fait état de cette difficulté dans mon billet «Les limites du dialogue argumentatif en ÉCR» http://ethiqueetculturereligieuse.blogspot.com/2008/02/les-limites-du-dialogue-argumentatif-en.html

Voulant résumer les principales composantes du programme, Georges Leroux en vient à apporter des distinctions sur le dialogue que le programme ne fait pas et à défendre la valeur du programme sur la base de ces ajouts. Il expose ainsi que les volets «éthique» et «culture religieuse» ne font pas appel au dialogue de la même manière, ce dont nous pouvons nous douter facilement mais dont le programme n’a aucunement tenu compte. Voici un extrait de l’entrevue :

«Le dialogue qui est commun à toutes les entreprises de ce cours n’a pourtant pas tout à fait le même sens en éthique et en culture religieuse : un dialogue en éthique est d’abord une recherche commune d’un consensus ou d’une décision, pour élaborer un point de vue et déterminer une réponse collective correcte à un problème. Le dialogue est alors constructif; c’est par lui que s’élaborent non seulement la démarche, mais la réponse à la question. Dans un dialogue authentique, les partenaires doivent être prêts à renoncer à ce qu’ils considéraient au départ comme des certitudes, si l’échange les amène dans cette direction. Tel n’est pas le cas du dialogue dans une démarche de culture religieuse : il s’agit alors d’apprendre d’abord à écouter l’autre, à le reconnaître dans sa singularité, pour ensuite le respecter et développer avec lui une relation harmonieuse et sereine. Le dialogue sur les questions religieuses ou séculières, qui sont à cet égard des domaines identiques par leurs bases de convictions, ne peut donc se proposer les mêmes perspectives critiques ou dialectiques que dans le domaine éthique. Le programme incitera donc les jeunes à comprendre les deux grands types de dialogue : le dialogue constructif, dont la forme suprême est la délibération commune, et le dialogue de respect, dont la forme ultime est la reconnaissance.» (Les caractères gras sont de nous)

En fait, le programme ne parle que d’un type de dialogue, soit celui convenant à l’éthique, selon la perspective ici présentée par Leroux. Pour s’en convaincre, il suffit de lire la description de la compétence et de ses composantes, ainsi que les critères d’évaluation et le contenu de formation. Tout est centré sur l’organisation de sa pensée, les points de vue exprimés, les conditions favorables et défavorables à la qualité des échanges en classe, etc. Les sessions de formation n’ont présenté que ce type de dialogue et le matériel didactique approuvé doit impérieusement s’en tenir à ce qui est déterminé dans le programme officiel.

Par ailleurs, si l’idée du professeur Leroux avait été retenue lors de l’élaboration du programme, il se poserait un grave dilemme à chaque fois qu’un thème abordé suscite des questions à la fois du côté de l’éthique et du côté de la culture religieuse, et cette éventualité risque d’arriver souvent puisque le programme suggère de préparer des situations d’apprentissage et d’évaluation qui mettent en interactions plus d’un thème et qui développent, si possible, les trois compétences disciplinaires. Imaginons le problème du choix du type de dialogue lorsque les deux volets sont en jeu : partager le temps entre le «dialogue constructif» et le «dialogue de respect», alterner de type à chaque cas, demander aux élèves d’opter pour l’un ou l’autre type de dialogue, tirer au sort, se fier à «l’instinct professionnel», faire un mélange des deux?

Décidément, cette remarque sur le dialogue révèle la fragilité de la structure même du programme. Au plan conceptuel, un des principaux défis que devait relever le nouveau programme Éthique et culture religieuse consistait à fonder et à articuler les deux volets rassemblés dans un programme dorénavant non confessionnel. Et comme solution, avec le dialogue, on semble n’avoir rien trouvé de mieux que de reporter le problème aux «usagers» du programme (soit aux enseignants et aux élèves, mais surtout aux enseignants) : le développement de la compétence du dialogue permettrait de parvenir, comme par enchantement, à la synthèse de l’éthique et de la culture religieuse. Plus besoin de se morfondre à définir les choses dans un programme d’études débarrassé du «paradigme de l’enseignement» puisque les «situations d’apprentissage et d’évaluation» comptent sur les capacités émergentes des élèves. Le Comité-conseil des programmes d’études, dans son avis d’approbation en janvier 2007 (p.3s), avait toutefois maintenu qu’il faudrait expliciter davantage les liens entre les deux volets, affirmant «qu’en l’absence des assises qui sous-tendent ce regroupement, le travail visant à favoriser le développement des compétences de manière conjointe sera difficile pour le personnel enseignant». Malheureusement, la version finale n’apporte aucune autre explication à cet effet … Faute de combler cette dangereuse lacune dans le programme, divers expédients seront utilisés sur le terrain, au risque de porter préjudice au développement de l’un ou l’autre des volets. Au risque également de susciter des mésententes, voire des affrontements, qui auraient pu être évités.

Si la compétence sur le dialogue, qui est appelée à servir de «socle» aux deux autres, s’avère plutôt bancale, que peut-on attendre comme résultat de l’ensemble de ce programme d’études? Même si l’on compte parfaire la préparation du personnel enseignant après le début de son application en septembre 2008…

mardi 29 juillet 2008

Selon des formateurs universitaires en Éthique et culture religieuse, les enseignants ne seront pas prêts (Dossier du CRIFPE, prise 1)


Dans le dernier numéro de son Bulletin «Formation et Profession», le Centre de recherche interuniversitaire sur la formation et la profession enseignante consacre un dossier au nouveau programme Éthique et culture religieuse, qui sera obligatoire en septembre prochain dans toutes les écoles primaires et secondaires du Québec. Rappelons que le CRIFPE, une institution des plus respectées en sciences de l’éducation, édite cette publication (http://www.formation-profession.org/) pour «favoriser le transfert des connaissances entre les milieux de pratique et la recherche» : même s’il remplit d’abord un rôle de vulgarisation et d’échange entre toutes personnes intéressées, ce bulletin n’en demeure pas moins hautement crédible, ne serait-ce que par le statut des auteurs qui y collaborent.

Le lecteur ne sera pas surpris que l’on y reprenne tous les espoirs véhiculés par le nouveau programme par le biais de ses diverses composantes. Il s’agit d’un exposé déjà connu qui a le mérite de rappeler les motifs et le contexte des décisions gouvernementales en la matière. Donc, hormis quelques éléments de réflexion sur le programme, rien de nouveau dans l’argumentaire centré sur l’importance d’outiller la jeune génération face à notre société vue avant tout comme marquée par le pluralisme et la diversité religieuse et idéologique. Bien que plusieurs questions soulevées méritent d’être examinées avec une grande attention (ce que nous ferons sur ce blogue), le présent commentaire se limitera à mettre en lumière une donnée factuelle cruciale dont témoigne clairement le dossier.

La principale information que nous devons retenir de ce dossier, c’est que les enseignants et les enseignants qui seront responsables de cette matière en septembre 2008 n’auront pas la formation (ou la compétence) nécessaire pour bien appliquer ce nouveau programme, pour être en mesure d’aménager et de faire vivre des apprentissages significatifs et durables.

Dans l’exposé éditorial, le professeur Jean-Pierre Proulx, «rédacteur délégué», postule que «la formation des quelque 26 000 enseignants du primaire et de plus de 8 000 du secondaire sera, au mieux, minimale, malgré les efforts qui sont menés cette année» (en 2007-2008). Si la formation est ici jugée «au mieux, minimale», c’est dire que dans plusieurs cas particuliers, voire la majorité, la formation n’atteindra pas ce stade qui permette de maîtriser suffisamment le domaine, d’intervenir avec une assurance convenable en suscitant l’indispensable confiance des élèves, des collègues et des parents… Plus loin, la contribution de deux universitaires associées à la formation des formateurs d’enseignants s’avère très éloquente sur le déficit de préparation des enseignants qui seront chargés de ce programme. Leurs observations, livrées avec sincérité, proviennent d’un travail sur le terrain, couvrant alors une bonne partie du Québec, soit l’Île de Montréal, la région de Laval, des Laurentides et de Lanaudière et la région Mauricie–Centre-du-Québec. Expliquant les diverses modalités mises en œuvre et les démarches entreprises pour parvenir à former le personnel enseignant, les deux professeures ne peuvent s’empêcher de signaler la précarité des résultats.

Ainsi, Mireille Estivalèzes, de l’Université de Montréal, en vient à dire qu’il «est évident que ni les nouveaux enseignants ni ceux qui sont déjà en fonction n’auront complété leur formation à temps. Ils ne seront donc pas complètement prêts pour la rentrée de septembre 2008». Pour elle, «la question essentielle qui se pose donc est celle du temps qu’il faudra nécessairement consacrer à une formation de qualité des enseignants, notamment en formation continue. Ce temps ne paraît pas toujours suffisant et son manque engendre une certaine pression sur les formateurs et les enseignants. Certains maîtres du primaire en activité ne disposent que d’une journée dans l’année [2007-2008] pour se familiariser avec le programme, ce qui est insuffisant.»

De son côté, Suzanne Rousseau, de l’UQTR, livre un article au titre des plus significatifs : «La formation des enseignants : le défi d’une génération». Déplorant le manque de ressources allouées, elle mentionne que «les 45 heures offertes aux enseignants-formateurs [sur les premiers thèmes] et déjà considérées insuffisantes par tous ont été réduites à une journée et demie» par la suite… Forte de son expertise, elle fait état de difficultés majeures, telles que des «carences importantes sur le plan des savoirs pertinents, tant en éthique qu’en culture religieuse, la complexité de la formation au dialogue au niveau tant de la maîtrise du contenu que de l’évaluation, notamment aux premiers cycles du primaire», la préparation quasi irréalisable de «situations d’apprentissage et d’évaluation» qui traitent à la fois deux ou trois compétences disciplinaires, alors que cette approche promue par le renouveau pédagogique n’est pas encore assimilée par le personnel…L’auteure évoquera même en conclusion que c’est seulement lorsque des jeunes qui auront suivi ce programme depuis l’élémentaire s’inscriront à un baccalauréat en enseignement que nous pouvons espérer disposer enfin d’enseignants réellement aptes en Éthique et culture religieuse…

Pour assurer la réalisation des apprentissages visés, le programme exige que le personnel enseignant adopte la «posture professionnelle» appropriée. L’expression fait référence au besoin d’ouverture à l’échange avec les élèves, d’objectivité et d’impartialité dans ses propos, d’engagement dans une communauté de recherche, etc. Selon les auteurs du dossier, le développement de ces attitudes indispensables «ne va pas de soi chez les enseignants». Si l’acquisition des connaissances nouvelles représente un défi accessible en y consacrant temps et efforts, ce dont les enseignants sont habitués lorsqu’ils sont chargés d’un nouveau programme (quitte à meubler ainsi une partie des vacances), il en est tout autrement en ce qui concerne cette «posture» qui fait appel à des habiletés psychosociales et communicationnelles. Il faut admettre qu’enseigner un autre programme de français ou d’histoire pour quelqu’un qui travaille déjà dans cette discipline ne constitue pas un défi de taille comme en ÉCR. Dans ce dernier cas, en plus des connaissances à s’approprier sur les diverses religions, il importe aussi de développer des aptitudes personnelles quant à la manière d’aborder les questions d’éthique et de culture religieuse et surtout quant à la manière d’amener les élèves à pratiquer le dialogue tel que promu par le programme. Sans cette «posture professionnelle», les élèves risquent non seulement de rater les compétences disciplinaires escomptées, mais aussi de faire la malheureuse expérience de situations à l’inverse de ce que promeut le programme : non-respect des personnes et de leurs positions, ancrage de préjugés à l’égard de tels types de croyants ou de non-croyants, banalisation du fait religieux et des questions éthiques, repliement sur ses opinions personnelles au lieu d’une maturation conceptuelle des questions religieuses et morales…

Le constat du manque de formation révélé par le dossier du CRIFPE ne peut laisser indifférent, d’autant plus qu’aucune évaluation globale n’a été rendue publique par les responsables ministériels ou autres. Il ne faut pas s’étonner que des parents qui suivent de près ce qui se passe à l’école redoutent les effets possiblement nuisibles sur le développement de leurs enfants et sur leurs perceptions de la religion et de l’éthique. Peu importe que l’on partage ou non le caractère obligatoire et le contenu du programme, les conditions de sa mise en application en septembre prochain ne sont guère rassurantes au chapitre la qualité de l’éducation.

Roger Girard

lundi 28 juillet 2008

Du CRIFPE, le DOSSIER DE L’ÉTÉ sur l’ÉCR

Que ceux et celles qui craignaient qu'aucun nouveau document étoffé ne paraisse sur l’ÉCR pendant l’été se rassurent : le CRIFPE (Centre de recherche interuniversitaire sur la formation et la profession enseignante) a publié un dossier sur le programme dans son dernier bulletin. Jean-Pierre Proulx, qui en a été le «rédacteur délégué», nous en a fait l’annonce sur le blog du RAEQ. En voici le sommaire :

Éditorial – Augmenter le capital culturel du Québec en matière d’éthique et de culture religieuse (Jean-Pierre Proulx, UdeM)

Dossier - Le programme d’éthique et de culture religieuse (présentation par Jean-Pierre Proulx)


Orientations et enjeux du programme d’éthique et de culture religieuse (Rencontre avec Georges Leroux, UQAM)

Au primaire, les élèves sont-ils trop jeunes? (Pierre Lebuis, UQAM)

La crainte du relativisme est mal fondée (Daniel Weinstock, UdeM)

La formation des enseignants : le défi d’une génération (Suzanne Rousseau, UQTR)

Pour les enseignants, un programme aussi déstabilisant que stimulant (Mireille Estivalèzes, UdeM)

Trois enseignantes et un étudiant témoignent – Des expériences exigeantes mais heureuses (Propos recueillis par Jean-Pierre Proulx)


Rappelons que le CRIFPE se présente comme le «meilleur centre de recherche en éducation au Canada, comme en témoigne le prix Whitworth remis par l’Association canadienne de l’éducation le 11 octobre 2005». Si le contenu du présent dossier réfère à beaucoup moins de données «scientifiques» que la plupart des 40 dossiers antérieurs, il constitue tout de même un exposé des plus crédibles sur l’état de la situation et sur les éléments marquant du programme eu égard à la formation des enseignants dans ce nouveau programme aux multiples espoirs et aux non moins nombreuses difficultés…
Publié en ligne (http://www.formation-profession.org/), le bulletin Formation et profession rejoint des milliers de lecteurs au Québec et aussi dans le monde. Mais actuellement, le site est en reconstruction… J’ai fait des démarches pour avoir des détails sur la date de remise en fonction et sur la possibilité de maintenir accessible le texte intégral du dossier, mais sans résultat jusqu’à maintenant. Si la panne demeure et que vous voulez obtenir certaines parties du dossier que j’ai sauvegardées, je pourrai vous les transmettre : envoyez-moi un courriel. ( 31 juillet: j'ai mis en ligne le dossier en format Word, avec des défauts de mise en page, mais lisible...)
J’ai pris connaissance du dossier : en plus de donner un portrait de la situation de la formation des enseignants dans une bonne partie du Québec, il témoigne des questions qui semblent cruciales pour le personnel enseignant et aussi pour tous les autres intéressés. Je livrerai certainement mon analyse et mes réflexions dans quelques billets prochainement. Il sera intéressant de voir si ce qui est exprimé représente également la vision des autres intervenants (universitaires, ministériels, etc.).

Si vous voulez faire connaître votre réaction, le présent blogue est à votre disposition. Tout le monde en profitera.

vendredi 11 juillet 2008

Les photos présentées

Jusqu'à maintenant, les photos utilisées pour agrémenter le blogue provenaient de la collection de Jean-François Girard. Je n'avais malheureusement pas trouvé le moyen de livrer ce renseignement avec les images... Celle d'aujourd'hui est cependant de moi, prise au Château de Versailles. Un élément architectural d'un autre âge, mais combien significatif!

Roger Girard

dimanche 25 mai 2008

Devoir de philo… ou d’apologétique?

Le dernier «Devoir de philo» publié dans Le Devoir portait sur notre sujet de prédilection : le futur programme Éthique et culture religieuse. Rien de particulièrement nouveau, si ce n’est le fait que la chronique m’a semblé pour le moins plutôt partiale et la réflexion très partielle au plan philosophique. J’ai donc soumis le texte suivant en guise de «réaction». Qu'en pensez-vous?

Contrairement à la majorité des articles offerts dans le cadre du «Devoir de philo», le présent article laisse un arrière-goût de plaidoyer justificateur. Est-ce la faute de l’auteur de l’article ou de l’interviewé? Peu importe, le dit programme d’Éthique et de culture religieuse soulève suffisamment de questions fondamentales pour que l’on prenne le temps de les considérer au lieu d’en appeler à l’autorité de Locke ou autres pour simplement le défendre.

Quelle connaissance des religions et des courants séculiers serait porteuse de tolérance et d’harmonie sociale? Quel rapport aux savoirs religieux et philosophiques doit promouvoir l’école pour favoriser le développement de l’intelligence et la structuration de l’identité? La difficulté appréhendée face au pluralisme religieux représente-t-elle la même chose chez les adultes et chez les jeunes? La culture religieuse est-elle soluble dans l’éthique? Quelle place accorder à la culture religieuse en éducation scolaire? Pourquoi a-t-il été nécessaire d’ajouter les deux grandes finalités sur «la reconnaissance de l’autre» et sur «la recherche du bien commun» en plus des compétences disciplinaires qui, dans les autres programmes, suffisent à orienter les apprentissages? Est-il réaliste de demander aux enseignants et enseignantes de pallier par leur «posture professionnelle» les carences conceptuelles et pédagogiques du programme?

Pour diverses raisons, il est permis de douter que le célèbre penseur britannique eût «encouragé l'adoption de cet enseignement».

D’abord, sa promotion de la tolérance s’enracinait dans une pensée sociale profondément religieuse. C’est ce que rappelle clairement Guy Boisson (http://www.marieweblog.com/log/index.php?post/2006/10/12/426-la) :« Pour John Locke cependant, protestant convaincu, la tolérance est avant toute chose une exigence de la foi elle-même. L’acte religieux implique par nature une sincérité intérieure absolue du sujet qui est incompatible avec toute forme de contrainte : ‘’Je peux m’enrichir à faire un métier qui me déplaît, me guérir en absorbant des remèdes qui me dégoûtent, je ne peux faire mon salut en pratiquant une religion que j’abhorre.’’ (Lettre sur la Tolérance, p.187). » On doit donc éviter un certain télescopage historique en abordant Locke, car ce dernier ne loge aucunement à l’enseigne de la pensée républicaine laïque.

De plus, l’éducation ne relevait pas de la responsabilité publique comme aujourd’hui, les premières grandes organisations d’enseignement scolaire émergeant d’ailleurs le plus souvent de motivations religieuses. Pour lui, le liens à l’État reposait davantage sur le besoin de préserver la sécurité et la prospérité que sur un «contrat social» à la manière de Rousseau ou sur des «valeurs communes publiques» que l’on évoque couramment aujourd’hui. Dans son approche empiriste, la question de l’État n’est aucunement affaire de «foi» ou de sentiment d’appartenance à développer chez les membres. Il aurait sans douter sursauter de lire que «la tolérance est la responsabilité du magistère de l'État», comme si l’État avait une fonction d’enseignement à l’instar des religions… Le magistrat civil n’aurait pas à intervenir sur ce qui relève de l’intériorité des personnes mais sur ce qui permet aux personnes de mener une vie harmonieuse, prospère et conforme aux principes spirituels qui les animent.

La prise en charge de l’éducation par l’État comporte évidemment une nouvelle donne bien étrangère à Locke. S’il avait été confronté au défi contemporain de l’enseignement relatif à la religion, il aurait sans doute été séduit par le système français qui dresse une frontière bien claire entre le domaine civil et public et le domaine convictionnel et privé, se limitant à aborder le «fait religieux» au fil des diverses disciplines sans élaborer un programme distinctif à cet égard. Le système belge aurait pu répondre tout autant à ses critères au plan de la pratique de la tolérance, puisque le pouvoir public ne s’engage pas sur un contenu qui, dans la perspective lockienne, ne lui appartient aucunement. Le système britannique, qui a su rallier dans une même entreprise les groupes qui agissaient séparément ou qui étaient laissés de côté, attirerait aussi sa sympathie puisqu’une même éducation est offerte à tous les jeunes. Il trouverait peut-être alors le futur programme québécois, bien que paré des «meilleurs principes du monde», assez faible au plan du réalisme pédagogiques et peu en mesure de répondre aux situations vécues dans les divers milieux (En Grande-Bretagne, le programme Religious Education est précisé et supervisé par des comités régionaux). Il serait sans doute surpris, lui qui faisait face à de graves intolérances politiques et religieuses, de constater l’emphase mise sur notre contexte de pluralité religieuse pour justifier tout un appareillage qui risque de déformer la réalité sociale et de détourner des enjeux éducatifs plus essentiels. Lui-même formé à la pratique médicale, il devait s’appliquer à approfondir le diagnostic avant de proposer un traitement. En fin de compte, quand on résiste à la tentation d’accorder aux propos de Locke une valeur universelle plutôt désincarnée, il est raisonnable de penser qu’il aurait pu tout autant privilégier notre régime d’options en vigueur depuis quelques décennies et qui, malgré ses difficultés organisationnelles, ne comportaient pas tous les torts dont ses détracteurs l’ont affublés.

Pour conclure, signalons qu’il est paradoxal, pour justifier le programme, de recourir à ce que le programme lui-même considère comme nuisible à une bonne pratique du dialogue. En effet, dès le primaire, le programme présente comme «obstacle au dialogue» le recours à «l’argument d’autorité» : c’est là un élément de contenu prescriptif, parmi les «procédés susceptibles d’entraver le dialogue». Alors, que penser de l’argumentation soumise dans ce «devoir de philo» au regard de la cause défendue? Et que penser de ce programme censé offrir un cadre éducatif répondant aux attentes de la population?


Roger Girard

samedi 24 mai 2008

Qui peut confirmer l'interprétation du CSE dans son avis de 2005?

Il y a un mois maintenant, j'ai envoyé la lettre suivante à la présidente du Conseil supérieur de l'éducation. Comme il y est expliqué, c'était dans le but de lui pour faire part de mes questions sur l'interprétation des sondages dans l'avis de 2005 et de recueillir ses remarques. Tout ceci à la suite d'une première démarche auprès des signataires de l'avis qui s’est soldée par une objection de principe du président d’alors.

Pourquoi revenir ainsi sur un texte du CSE ?

parce que le recours à l’assentiment populaire s’est avéré déterminant pour la décision de rendre obligatoire le programme Éthique et culture religieuse au primaire et au secondaire;

parce que le CSE est un acteur important dans le monde de l’éducation, ses avis devenant des références majeures pour le Ministre et pour plusieurs autres intervenants ;

parce que l’analyse sociale du débat relatif à cette question ne peut faire l’économie d’un examen de toutes les sources utilisées ;

parce qu’un avis du CSE constitue un document public qu’il peut être utile de mieux comprendre et même de questionner ;

parce que les difficultés à accepter et à adapter ce programme tiennent peut-être à une mauvaise perception des attentes de la population ;

parce qu’il vaut mieux, en régime démocratique, ne pas considérer les avis, si officiels soient-il, comme des documents définitifs, fermés, classés…


Voici donc la teneur de la missive demeurée «lettre morte» :


Québec, le 22 avril 2008


Madame Nicole Boutin, présidente
Conseil supérieur de l’éducation
1175, avenue Lavigerie, bureau 180Québec (Québec)
G1V 5B2

Objet : avis du Conseil en 2005


Madame,

Vous avez pris connaissance vendredi dernier de la démarche que j’avais faite auprès des membres du Conseil en 2005 lors de la publication de l’avis Pour un aménagement respectueux des libertés et des droits fondamentaux : une école pleinement ouverte à tous les élèves du Québec. M’étant engagé dans une relecture de ce rapport en ce qui concerne l’utilisation des données empiriques sur l’appui de la population, j’en suis venu à certaines hypothèses que je voulais vérifier auprès des témoins de première ligne que constituent les signataires. J’avais naïvement oublié les incidences institutionnelles d’une telle entreprise. Le président d’alors, monsieur Jean-Pierre Proulx, qui avait déjà invoqué son droit ou son devoir de réserve lors d’un échange sur le blogue du RAEQ, a laconiquement indiqué que c’était à la présidente actuelle de réagir sur le contenu de l’avis. «Le Conseil supérieur de l'éducation n'a qu'un porte-parole. C'est sa présidente, Mme Nicole Boutin.», laissant ainsi entendre que je devais m’adresser à vous et que les membres impliqués ne devaient pas se prononcer puisqu’il s’agit de la prérogative de la présidence. Je pensais qu’un document émis depuis plus de trois ans pouvait être discuté ouvertement …

Votre Code d’éthique et de déontologie impose bien un devoir de discrétion pour «respecter le caractère confidentiel de l'information reçue» (art. 4) mais je ne questionne aucunement sur des aspects qui seraient confidentiels puisque je me réfère aux énoncés de l’avis et à la pertinence de l’interprétation avancée. Je me reporte au texte produit et non à ce qui relève des personnes en tant que telles. De plus, le document de référence Règlement sur l'éthique et la déontologie des administrateurs publics apporte une précision importante : «Cette obligation [de discrétion] n'a pas pour effet d'empêcher un administrateur public représentant ou lié à un groupe d'intérêts particulier de le consulter ni de lui faire rapport, sauf si l'information est confidentielle suivant la loi ou si le conseil d'administration exige le respect de la confidentialité» (art.6). En outre, je pense que le délai de trois ans est amplement suffisant pour laisser les membres libres de s’exprimer sur le contenu puisque le document législatif n’impose qu’un an d’attente quant à la reprise d’activités pouvant susciter des conflits d’intérêt (art.18). Dans mon cas, nulle demande de divulgation d’éléments confidentiels et nul risque de conflit d’intérêt.

Je considère qu’une juste interprétation des règles de déontologie ne permette pas de restreindre le droit de questionner la teneur d’un avis auprès des membres qui demeurent libres de répondre en préservant la confidentialité des informations comme il se doit. Il s’agit ici d’une matière d’intérêt public, traitée selon une méthodologie de recherche. Dans l’hypothèse contraire, les participants à un organisme public seraient contraints à un silence absolu et permanent, mais ce n’est pas «le meilleur des mondes» que nous souhaitons.

Je vous prie donc de me dire si vous trouvez acceptable que je poursuive ma démarche. Nonobstant votre réponse, comme le propose votre prédécesseur, je vous demande si vous jugez plausibles les hypothèses que je soulève sur l’interprétation des données statistiques véhiculée par l’avis en cause (cf. texte «En 2005, le CSE a-t-il bien interprété les sondages?» à http://ethiqueetculturereligieuse.blogspot.com/2008/04/en-2005-le-cse-t-il-bien-interprt-les.html). Je ne pensais pas que mon initiative prendrait cette tournure plus «officielle» mais vous comprendrez que les circonstances l’obligent en quelque sorte.

Si vous désirez plus d’information sur ma démarche, il me fera plaisir de vous en donner. Le cas échéant, je peux vous rencontrer à cet effet. Je vous demanderais alors de me fixer un rendez-vous à Québec au cours des deux prochaines semaines.


En espérant une réponse dans les meilleurs délais, je vous demande d’accepter l’expression de mes sentiments distingués.

Roger Girard

[avec mes coordonées postales et téléphoniques]


La secrétaire de la présidente m’a confirmé au téléphone la réception de la lettre mais je n’ai encore obtenu aucune réponse de la présidente. Si vous portez les mêmes interrogations que moi, essayez de votre côté, vous serez peut-être plus «chanceux», et donnez-m’en des nouvelles.

mardi 22 avril 2008

Conférence philosophique sur l’ÉCR

Le 10 avril dernier, la Chaire d’enseignement et de recherche «La philosophie dans le monde actuel», de l’Université Laval, a offert une conférence fort intéressante sur le nouveau programme Éthique et culture religieuse. Le professeur Georges Leroux, qui a participé de près à l’élaboration de ce programme, a traité des principaux enjeux de ce projet et notamment des rapports de la culture et de la foi religieuse, ainsi que des problèmes reliés au relativisme et à la neutralité des enseignants. L’auditorium 1 du Musée de la civilisation était rempli et il ne fait aucun doute que chacun et chacune a su trouver de quoi alimenter sa réflexion sur cet incontournable programme scolaire en voie d’implantation.

Je n’ai pas l’intention de livrer ici un résumé de la riche conférence, dont le texte de base ci-joint sera publié à l’intérieur d’un ouvrage collectif aux Presses de l’Université Laval. Je relèverai plutôt quelques aspects qui, selon moi, méritent une attention particulière, dans le but de prolonger la réflexion amorcée.

L’être et le devoir-être

Lors de l’échange, une question fondamentale fut soulevée par un participant, soit la relation entre l’être et le devoir-être. Cette question permet d’envisager d’un nouvel angle la neutralité attendue pour le programme ÉCR et la distinction habituellement établie entre les deux volets, soit l’éthique et la culture religieuse. Les commentaires du conférencier ont fourni de précieuses références conceptuelles mais on aurait pu en profiter pour faire davantage d’application aux contenus et aux démarches du programme.


D’abord, dans le programme lui-même et dans son étude ou son appropriation, est-ce que l’on tient suffisamment compte de l’interaction foncière entre l’être (comme affirmation sur la réalité) et le devoir-être (comme énoncé prospectif ou éthique)? Lors d’une opération d’analyse, il peut s’avérer utile de bien démarquer ces deux aspects, mais la situation vécue par les personnes et la circulation des représentations sociales témoignent de l’interpénétration continuelle et spontanée de ces deux dimensions.

Se trouve alors reposée, à nouveaux frais, la grande question de «l’objectivité des valeurs». C’est d’ailleurs le titre du chapitre signé par Raymond Boudon dans l’ouvrage L'horizon de la culture : Hommage à Fernand Dumont . Après avoir passé en revue quelques risques encourus à cet égard avec certains courants philosophiques et sociologiques actuels, l’auteur arrive à cette conclusion éclairante :

«On peut aussi remarquer que ces traditions [qui en viennent à nier que les jugements de valeur comportent une dimension cognitive essentielle] sont incompatibles avec un fait irrécusable: celui de l'interpénétration de l'être et du devoir être. « Un gouvernement non soumis à réélection est une mauvaise chose parce que les gouvernants risquent de méconnaître l'intérêt des gouvernés »: il suffit de décomposer un énoncé comme celui-là en ses composantes élémentaires pour remarquer aussitôt qu'elles comprennent à la fois des jugements factuels et des jugements appréciatifs. De façon générale, une action, une décision, une institution ne sont jamais bonnes si elles sont irréalisables. Le « bien » doit pouvoir s'inscrire dans le réel. Il en résulte que tout jugement de type « X est bon » se fonde partiellement sur des jugements de fait. Une action, une décision, une institution ne peuvent jamais être considérées bonnes ou mauvaises, si l'on fait totalement abstraction de leurs conséquences. Aussi les raisons qui justifieront « X est bon » comporteront-elles toujours l'évocation de données factuelles. Ces deux remarques suffisent à indiquer que, contrairement à l'idée reçue qu'ont imposée les traditions que j'évoquais il y a un instant, être et devoir-être s'interpénètrent par nature.»


Par conséquent, s’il convient de distinguer ce qu’il en est de l’être et du devoir-être, il ne faut pas oublier que ces deux notions résultent d’une conceptualisation pour mieux analyser ce qui est vécu mais ne se retrouvent vraiment pas comme deux secteurs isolables dans l’existence humaine. Il y a de l’être et du devoir-être dans les éléments abordés en culture religieuse, ainsi que dans ceux couverts par l’éthique. La tendance à aborder la culture religieuse surtout comme «information» ne respecte pas l’appropriation et le développement des savoirs religieux dans l’intelligence humaine, qu’elle soit ou non porteuse d’options religieuses ou spirituelles explicites. Et il en est de même pour la propension à entendre le domaine de l’éthique dans le programme uniquement dans le sens du devoir être.On s’engage à ce moment dans une démarche qui ne pourra opérer efficacement sur le terrain de ceux et celles à qui elle est destinée. Un programme d’études pour des élèves du primaire et du secondaire ne peut se permettre de l’oublier.

Le pluralisme normatif

Le professeur Leroux présente le «pluralisme normatif» comme un fondement du programme d’étude; il en fait même le principe moral ou éducatif aujourd’hui déterminant pour l’école québécoise. La notion, qui fait appel à la nécessité de reconnaître les bons côtés de la pluralité ethnico-religieuse, ne se laisse pas saisir facilement. Ce devoir-être demande plus que l’observation de la pluralité factuelle des normes et des croyances pour constituer la référence éducative envisagée. Dans son ouvrage Éthique, culture religieuse, dialogue (2007), il explique comment l’école doit aider le jeune à passer «de la constatation du pluralisme de fait à la valorisation du pluralisme normatif» (p.13s.), lui faire découvrir les richesses de la diversité à partir de ce qui est vu, comme si le devoir-être souhaité découlait naturellement de l’être considéré, comme si le sens démocratique résultait d’une génération spontanée sans exiger une certaine détermination des individus eux-mêmes à cet égard. Par contre, plus loin, l’auteur parle du «pluralisme normatif» comme d’un descripteur de la sécularisation de la société québécoise, lui accordant alors une connotation d’être se rapportant à l’effacement de l’autorité religieuse dans la délibération publique et à la «priorité des droits fondamentaux sur les privilèges des croyances» (p.39s). On peut conclure que le «relativisme normatif» contient à la fois de l’être et du devoir-être, comme c’est le cas de plusieurs termes intégrateurs, mais toute intervention éducative demande de mieux identifier ce qui relève de l’un et de l’autre, pour assurer des apprentissages adaptés.

Cette notion de «pluralisme normatif» fut d’abord utilisée pour caractériser un type de société reconnaissant et aménageant l’existence d’une certaine hétérogénéité ethnoculturelle en son sein ( cf. article de D. Juteau, «Le pluralisme», Les Cahiers du GRES, vol.1, no 1, 2000). Il s’agit alors d’une analyse sociologique des normes sociales définissant et encadrant les sociétés étudiées. Mais on peut se demander s’il ne se produit pas un glissement pour en faire une norme éducative susceptible de guider les interventions et d’enrichir la réflexion éthique des jeunes. L’expression est attrayante mais s’avère-t-elle suffisamment fonctionnelle pour être utile?

L’apport de la philosophie

Dans un texte qui rappelle la contribution de la philosophie au débat de société sur la citoyenneté comme sur toute question éducative, Georges Leroux résume en ces mots ce que l’on peut en attendre :

«La philosophie ne doit pas reculer devant la demande qui s'entend de plus en plus à cet égard: apprendre à penser, ce n'est pas seulement acquérir l'art de l'inférence valide, c'est aussi totaliser, dans sa propre vie, le progrès éthique, politique et spirituel de l'histoire de la pensée, et c'est en recueillir les fruits. Il y a donc de bonnes raisons de demander à la philosophie un engagement plus précis et plus déterminé eu égard à la citoyenneté. » (La réforme de l’éducation normative. Religion, morale, citoyenneté, 2001)

La conférence du 10 avril nous a prouvé que la philosophie pouvait aider à expliciter certains aspects du cours ÉCR qui prêtent à confusion. La forte participation reflète les attentes en ce sens et il faut remercier les responsables de la tenue d’un tel événement. Il y aurait sans doute lieu de penser à une soirée de réflexion philosophique également sur les fondements et sur les notions majeures du «renouveau pédagogique» actuellement vécu dans le monde scolaire.