mardi 28 octobre 2008

Les limites du dialogue en matière de sondages sur l’ÉCR

J’avais trouvé plutôt problématique l’analyse présentée par Jean-Pierre Proulx sur la constante des sondages en faveur du programme Éthique et culture religieuse. J’ai exposé les lacunes de son article «La majorité souhaite un enseignement non confessionnel» (Le Devoir, 19 septembre 2008) dans un billet précédent ÉCR en débat : Une interprétation douteuse des sondages sur l’enseignement religieux.

Soit dit en passant, je me pose de sérieuses questions sur la manière dont on fait intervenir les sondages dans les nouvelles et dans le débat public en général. Sur la question des changements en enseignement moral et religieux, depuis dix ans, on assiste à une utilisation faussement scientifique des sondages pour défendre une cause préétablie alors qu’ils devraient servir comme outils pour mieux appréhender la réalité sociale. Ce sont les préoccupations qui m’animent en abordant le présent cas, pour mettre de l’avant quelques interrogations et hypothèses.

Voilà qu’à la suite de la publication des résultats du récent sondage de l'Association des parents catholiques du Québec (APCQ) , le professeur y va encore de son analyse sur la portée de ce sondage en défendant la «valeurs» des «bons sondages» qui manifestent l’appui de la majorité et la «sagesse» de la décision gouvernementale. Il fait paraître dans le blogue du RAEQ un texte sous le titre À propos d'un récent sondage sur le programme ECR. Où loge la sagesse? (24 octobre 2008).

Vous pourrez prendre connaissance de son billet sur le site d’origine, je vous livre ici le contenu de mon commentaire et l’échange qui s’en est suivi, jusqu’à ce que le «dialogue» prenne fin faute de… (à vous de juger)


1- Commentaire de: Roger Girard (10/25/08)


Votre billet cherche à préciser certains éléments de manière à justifier le programme Éthique et culture religieuse, maintenant obligatoire au primaire et au secondaire. L’intention est légitime, mais les arguments suscitent certaines questions et même des réserves sérieuses.


Pourquoi minimiser la signification du récent sondage de l’APCQ? Vous invoquez la question de la «désirabilité sociale» comme un facteur qui aurait fortement accentué l’accord des répondants. En dépit de votre référence à des spécialistes, vous vous trompez sans doute de «phénomène explicatif». Voici une citation éclairante à ce propos :

«Le concept de désirabilité sociale entendu comme étant «la tendance d’un individu à admettre et à adopter les traits et les comportements qui sont désirables ou acceptables, et à rejeter, à l’inverse, ceux qui ne le sont pas» [Zerbe et Paulhus, 1983] traduit l’influence de la norme sociale dans les réponses apportées aux enquêtes. Autrement dit, quel que soit son avis ou son comportement, l’individu donnera la réponse qui lui semble être socialement acceptable.»(cf. le site site COMINDUS/Borel, consulté le 24 octobre 2008)


Vous trouvez que ce n’est pas la bonne question à poser, mais on doit prendre les résultats pour ce qu’ils manifestent, soit la répartition très probable des opinions de la population sur la question posée.


Vous avez bien raison de rappeler qu’il serait inacceptable de «gouverner par sondage». Mais c’est une tendance bien normale pour les élus de «décider ce qui est le plus sage» est tenant compte de ce qui semble le plus sage aussi aux yeux de leurs concitoyens. Ils représentent le peuple, on ne peut leur reprocher d’être à l’écoute de celui-ci. Dans l’hypothèse où la nécessité d’une décision ne s’avère pas être partagée par la population, les élus prendront toutes les dispositions possibles pour exposer les motifs de leur décision (comme la chose est arrivée pour l’obligation de la ceinture de sécurité en auto). Lors de grandes questions, on procède évidemment à un vote référendaire ou électoral. Dans le cas qui nous occupe, ce sont les élus qui ont fait référence à l’acceptation populaire, il faut croire qu’il s’agit d’un motif important pour eux. D’après la teneur des décisions et de leurs justifications en 2000 et en 2005, je considère que «l’évolution de la population», telle que pressentie alors, représente une raison déterminante d’en venir à étendre l’obligation du programme Éthique et culture religieuse à tous les élèves. Bien entendu, d’autres facteurs ont joué, et certains ont provoqué la précipitation des étapes de réalisation du projet, de sorte que l’on se retrouve actuellement avec les problèmes que l’on connaît.


De plus, si l’on doit se fonder sur des grands choix de société, telle la «mission de socialisation» impartie à l’école, il est abusif de le faire en laissant entendre que ces «buts sociétaux» doivent nécessairement se concrétiser de telle ou telle manière. La préoccupation du vivre-ensemble, la norme d’égalité devant la loi, la conformité aux chartes ne constituent pas un livre d’instructions pratiques. J’imagine qu’il existe plus d’une modalité d’application.


Il y a une modalité que vous écartez en raison de «la gestion pédagogique de la diversité» : l’offre de multiples programmes confessionnels… Que le système soit devenu «impraticable», c’est facile à admettre, mais a-t-on fixé des paramètres appropriés pour le rendre praticable? Déjà, pour des raisons d’organisation scolaire et de principes sociopolitiques, bien des décideurs et des leaders d’opinion privilégiaient le cours commun et obligatoire. Pourquoi n’a-t-on pas mieux expliquer au public que cette modalité était matériellement impossible ou du moins trop coûteuse? (C’est tout de même la position de 26% des mémoires traitant de programmes à la commission parlementaire en 1999.) Votre allusion aux «groupes minoritaires» possiblement mal servis nous ramène au profond dilemme qu’a cherché à élucider la commission Bouchard-Taylor : comment la protection des groupes minoritaires peut-elle s’articuler avec la sauvegarde de la majorité? Mais il vaut mieux examiner cela en pratique dans les écoles.


Votre argument pastoral est tout à votre honneur. Il est bon de rappeler que des parents catholiques ont tout intérêt à suivre la voie indiquée par leurs évêques… Mais quand vous signalez que «l’éducation de la foi [ne] se fasse plus à l’école», vous devriez vous rappeler que c’est depuis 1984 que le virage s’est fait, avec les «Orientations pastorales» et que les cours d’enseignement religieux confessionnel étaient définies depuis ce temps en objectifs éducatifs et non catéchétiques. Il y a quelque chose à déchiffrer dans les attentes des parents et je ne suis pas certain que les évêques l’aient réussi mieux que le Ministère. Du côté des responsables ecclésiaux, on voit surtout une heureuse conséquence, celle de vivifier la communauté paroissiale en s’occupant de la formation à la vie chrétienne. Dans son «témoignage public», Mgr Morissette rappelle cependant que«les parents ont à être vigilants à l’égard de ce qui se passe avec le cours Éthique et culture religieuse» (étant les mieux placés à cet effet) : un conseil peu entendu jusqu’ici.


Malgré le dernier sondage, vous pouvez ainsi continuer d’affirmer que, la sagesse de la décision gouvernementale reflétant celle de la population, le présent programme «rejoint les aspirations d’une majorité de Québécois». On pourrait penser ici aux aspirations profondes ou implicites, mais vous référez au texte que vous avez signé le 19 septembre dans Le Devoir, «La majorité souhaite un enseignement non confessionnel». Malheureusement, votre interprétation laisse voir, à mon avis, de graves problèmes de méthode. Un examen critique de votre démarche révèle, entre autres, que vous n’avez pas tenu compte de la marge d’erreur en décrétant qu’il y a une majorité, que vous avez amalgamé des réponses différentes dans votre grille interprétative et que vous aviez sélectionné des sondages convergents. Je ne reprendrai pas ici les explications que je développe dans le billet «ÉCR en débat : une interprétation douteuse des sondages sur l’enseignement religieux» (cf. le blogue «ethiqueetculturereligieuse»). Je vous invite à en prendre connaissance; je compte bien avoir vos réactions pour me réajuster s’il y a lieu.


Où loge la sagesse? Sans doute dans nos efforts pour chercher à clarifier ensemble ce qui fait l’objet de dissension dans la population et dans cette recherche commune de vérité qui doit nourrir le vivre-ensemble de notre société.

PermalienPermalien 10/25/08 @ 20:41


2- Commentaire de: Jean-Pierre Proulx (10/26/08)


M. Girard,


J’admets sans difficulté aucune que les personnes qui ont répondu à la question du sondage de l’Association des parents catholiques n’ont pas dit le contraire de ce qu’ils pensaient. J’admets tout autant que le recours au concept sociologique de « désirabilité sociale », tel que vous le rapportez n’est pas adéquat. En revanche, je soutiens qu'une question qui a pour objet la liberté induit plus spontanément une réponse favorable parce que la liberté est un bien particulièrement désirable. Cela dit et dans cette mesure, je ne conteste pas que la répartition des répondants telle qu’observée est « très probable ».


Mais le véritable débat ne loge pas à ce niveau. Il se situe au niveau des conséquences et des difficultés qu’entraînerait la possibilité pour les parents d’un choix entre enseignement confessionnel et le programme ECER. J’ai réagi au sondage de l’APCQ pour illustrer ces conséquences.


Mais je m’arrête là. Je pourrais bien continuer d’argumenter avec vous à cet égard – le débat intellectuel m’est agréable – mais, dans l'ordre de l'action, cela n’est tplus pertinent. L’exercice est inutile et dépassé. Car il y a un temps pour délibérer (il a duré huit ans!), un temps pour décider et un temps pour mettre en œuvre. On en est à la mise en œuvre du programme.

PermalienPermalien 10/26/08 @ 13:40


3- Commentaire de: Roger Girard (10/27/08)


M. Proulx,


Si le temps n’est plus à la discussion mais à l’action pour la mise en œuvre du programme, pourquoi vous attardez-vous à écrire des commentaires sur les sondages? Et pourquoi livrer des textes à des lecteurs (de journaux et de blogue) s’ils sont «indiscutables»?

Je vous comprends d’être harassé par la longueur du débat, lui ayant consacré des énergies considérables, mais il risque malheureusement de se prolonger encore longtemps si l’on ne peut compter sur un minimum de vision commune de cette réalité sociale qui nous préoccupe de part et d’autre.

PermalienPermalien 10/27/08 @ 08:43


4- Commentaire de: Jean-Pierre Proulx (10/27/08)


Parce que, selon les circonstances, j'estime que cela est utile. Ce fut le cas, à propos du sondage de l'ACPQ. Ce n'est pas une question de principe. En ce qui concerne ce billet, vous m'avez répondu, je vous ai répondu, J'ai dit ce que j'avais à dire. Il ne me paraît pas pertinent d'aller plus loin.

10/27/08 @ 08:58

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Pourquoi vous acharner sur lui, M. Girard ?

Ne voyez-vous pas qu'il est très occupé à nous transformer en un Nouveau Monde dans lequel nous vivrons tous ensemble en harmonie dans le plus totale respect de nos différences et dans la plus grande tolérance ?

Pourquoi cette résistence ?

Il faut tous tourner dans le même sens, et suivre le monsieur. Il a certainement un bon guide.

Il ne veut que notre bien.

Mathieu Bergeron a dit…

Je vous invite à visiter le site http://www.ethique-et-culture-religieuse.com/ et à renouveler le débat sur votre blog autour de tous ces présumés scandales dans les classes d'éthique et de culture religieuse!

Qu'en dites vous ?

Ethos a dit…

Éthique et culture religieuse - Un cours à conserver !

Ma réplique se résumera à trois citations : celle de Gandhi, celle de Jean-Jacques Rousseau et celle d’Alexis de Tocqueville :

Gandhi affirme : « Les religions représentent des routes différentes qui convergent au même point. Peu importe si nos chemins ne sont pas les mêmes, pourvu que nous atteignions le même but. À vrai dire, il y a autant de religions que d’individus. Si un homme parvient au cœur de sa propre religion, il se trouve, de ce fait, au cœur même des autres religions (…) Après une étude et une expérience approfondies sur cette question, j’en suis venu à la conclusion que 1) toutes les religions sont vraies; 2) aucune n’est tout à fait exempte d’erreurs; 3) toutes les autres me sont presque aussi chères que la mienne, dans la mesure où notre prochain devrait nous êtres aussi cher que nos proches parents. J’ai autant de vénération pour la foi des autres que pour la mienne… Dieu a créé différentes religions, tout comme il a créé leurs adeptes. Comment donc pourrais-je concevoir que la foi de mon voisin soit inférieure, et souhaiter qu’il se convertisse à ma religion ? Si je suis vraiment un ami loyal, je ne peux que prier pour lui souhaiter de vivre en parfait accord avec sa propre foi. Il y a plusieurs demeures dans le royaume de Dieu et elles sont toutes aussi saintes. QUE PERSONNE NE REDOUTE DE VOIR S'AFFAIBLIR SA PROPRE FOI EN SE LIVRANT À UNE ÉTUDE RESPECTUEUSE DES AUTRES RELIGIONS. La philosophie hindoue voit des fragments de vérité dans toutes les religions et nous enjoint d’avoir du respect pour chacune (...) La tolérance est aussi éloignée du fanatisme que le Pôle Nord du Pôle Sud. Une connaissance approfondie des religions permet d’abattre les barrières qui les séparent » (Gandhi, Tous les hommes sont frères : vie et pensées du Mahatma Gandhi d’après ses œuvres, Éditions Gallimard, Commission Française pour l’UNESCO, 1969).

Et Jean-Jacques Rousseau d’ajouter : « Émile qu’il ne pût apprendre de lui-même par tout pays, dans quelle religion l’élèverons-nous ? À quelle secte agrégerons-nous l’homme de la nature ? La réponse est fort simple, ce me semble ; nous ne l’agrégerons ni à celle-ci ni à celle-là, MAIS NOUS LE METTRONS EN ÉTAT DE CHOISIR CELLE OÙ LE MEILLEUR USAGE DE SA RAISON DOIT LE CONDUIRE » (Jean-Jacques Rousseau, Émile ou de l’éducation, Garnier-Flammarion, Paris, 1966).

Alexis de Tocqueville affirme : « La liberté voit dans la religion la compagne de ses luttes et de ses triomphes, le berceau de son enfance, la source divine de ses droits. Elle considère la religion comme la sauvegarde des mœurs ; les mœurs comme la garantie des lois et le gage de sa propre durée » « On ne peut donc pas dire qu’aux Etats-Unis la religion exerce une influence sur les lois ni sur le détail des opinions publiques, mais elle dirige les mœurs, et c’est en réglant la famille qu’elle travaille à régler l’État » « C'EST LE DESPOTISME QUI PEUT SE PASSER DE LA FOI, MAIS NON LA LIBERTÉ. La religion est beaucoup plus nécessaire dans la république qu’ils préconisent, que dans la monarchie qu’ils attaquent, et dans les républiques démocratiques que dans toutes les autres » (Alexis de Tocqueville, De la Démocratie en Amérique, Tome I, Flammarion, Paris, 1981).

Eric Folot