dimanche 25 mai 2008

Devoir de philo… ou d’apologétique?

Le dernier «Devoir de philo» publié dans Le Devoir portait sur notre sujet de prédilection : le futur programme Éthique et culture religieuse. Rien de particulièrement nouveau, si ce n’est le fait que la chronique m’a semblé pour le moins plutôt partiale et la réflexion très partielle au plan philosophique. J’ai donc soumis le texte suivant en guise de «réaction». Qu'en pensez-vous?

Contrairement à la majorité des articles offerts dans le cadre du «Devoir de philo», le présent article laisse un arrière-goût de plaidoyer justificateur. Est-ce la faute de l’auteur de l’article ou de l’interviewé? Peu importe, le dit programme d’Éthique et de culture religieuse soulève suffisamment de questions fondamentales pour que l’on prenne le temps de les considérer au lieu d’en appeler à l’autorité de Locke ou autres pour simplement le défendre.

Quelle connaissance des religions et des courants séculiers serait porteuse de tolérance et d’harmonie sociale? Quel rapport aux savoirs religieux et philosophiques doit promouvoir l’école pour favoriser le développement de l’intelligence et la structuration de l’identité? La difficulté appréhendée face au pluralisme religieux représente-t-elle la même chose chez les adultes et chez les jeunes? La culture religieuse est-elle soluble dans l’éthique? Quelle place accorder à la culture religieuse en éducation scolaire? Pourquoi a-t-il été nécessaire d’ajouter les deux grandes finalités sur «la reconnaissance de l’autre» et sur «la recherche du bien commun» en plus des compétences disciplinaires qui, dans les autres programmes, suffisent à orienter les apprentissages? Est-il réaliste de demander aux enseignants et enseignantes de pallier par leur «posture professionnelle» les carences conceptuelles et pédagogiques du programme?

Pour diverses raisons, il est permis de douter que le célèbre penseur britannique eût «encouragé l'adoption de cet enseignement».

D’abord, sa promotion de la tolérance s’enracinait dans une pensée sociale profondément religieuse. C’est ce que rappelle clairement Guy Boisson (http://www.marieweblog.com/log/index.php?post/2006/10/12/426-la) :« Pour John Locke cependant, protestant convaincu, la tolérance est avant toute chose une exigence de la foi elle-même. L’acte religieux implique par nature une sincérité intérieure absolue du sujet qui est incompatible avec toute forme de contrainte : ‘’Je peux m’enrichir à faire un métier qui me déplaît, me guérir en absorbant des remèdes qui me dégoûtent, je ne peux faire mon salut en pratiquant une religion que j’abhorre.’’ (Lettre sur la Tolérance, p.187). » On doit donc éviter un certain télescopage historique en abordant Locke, car ce dernier ne loge aucunement à l’enseigne de la pensée républicaine laïque.

De plus, l’éducation ne relevait pas de la responsabilité publique comme aujourd’hui, les premières grandes organisations d’enseignement scolaire émergeant d’ailleurs le plus souvent de motivations religieuses. Pour lui, le liens à l’État reposait davantage sur le besoin de préserver la sécurité et la prospérité que sur un «contrat social» à la manière de Rousseau ou sur des «valeurs communes publiques» que l’on évoque couramment aujourd’hui. Dans son approche empiriste, la question de l’État n’est aucunement affaire de «foi» ou de sentiment d’appartenance à développer chez les membres. Il aurait sans douter sursauter de lire que «la tolérance est la responsabilité du magistère de l'État», comme si l’État avait une fonction d’enseignement à l’instar des religions… Le magistrat civil n’aurait pas à intervenir sur ce qui relève de l’intériorité des personnes mais sur ce qui permet aux personnes de mener une vie harmonieuse, prospère et conforme aux principes spirituels qui les animent.

La prise en charge de l’éducation par l’État comporte évidemment une nouvelle donne bien étrangère à Locke. S’il avait été confronté au défi contemporain de l’enseignement relatif à la religion, il aurait sans doute été séduit par le système français qui dresse une frontière bien claire entre le domaine civil et public et le domaine convictionnel et privé, se limitant à aborder le «fait religieux» au fil des diverses disciplines sans élaborer un programme distinctif à cet égard. Le système belge aurait pu répondre tout autant à ses critères au plan de la pratique de la tolérance, puisque le pouvoir public ne s’engage pas sur un contenu qui, dans la perspective lockienne, ne lui appartient aucunement. Le système britannique, qui a su rallier dans une même entreprise les groupes qui agissaient séparément ou qui étaient laissés de côté, attirerait aussi sa sympathie puisqu’une même éducation est offerte à tous les jeunes. Il trouverait peut-être alors le futur programme québécois, bien que paré des «meilleurs principes du monde», assez faible au plan du réalisme pédagogiques et peu en mesure de répondre aux situations vécues dans les divers milieux (En Grande-Bretagne, le programme Religious Education est précisé et supervisé par des comités régionaux). Il serait sans doute surpris, lui qui faisait face à de graves intolérances politiques et religieuses, de constater l’emphase mise sur notre contexte de pluralité religieuse pour justifier tout un appareillage qui risque de déformer la réalité sociale et de détourner des enjeux éducatifs plus essentiels. Lui-même formé à la pratique médicale, il devait s’appliquer à approfondir le diagnostic avant de proposer un traitement. En fin de compte, quand on résiste à la tentation d’accorder aux propos de Locke une valeur universelle plutôt désincarnée, il est raisonnable de penser qu’il aurait pu tout autant privilégier notre régime d’options en vigueur depuis quelques décennies et qui, malgré ses difficultés organisationnelles, ne comportaient pas tous les torts dont ses détracteurs l’ont affublés.

Pour conclure, signalons qu’il est paradoxal, pour justifier le programme, de recourir à ce que le programme lui-même considère comme nuisible à une bonne pratique du dialogue. En effet, dès le primaire, le programme présente comme «obstacle au dialogue» le recours à «l’argument d’autorité» : c’est là un élément de contenu prescriptif, parmi les «procédés susceptibles d’entraver le dialogue». Alors, que penser de l’argumentation soumise dans ce «devoir de philo» au regard de la cause défendue? Et que penser de ce programme censé offrir un cadre éducatif répondant aux attentes de la population?


Roger Girard

samedi 24 mai 2008

Qui peut confirmer l'interprétation du CSE dans son avis de 2005?

Il y a un mois maintenant, j'ai envoyé la lettre suivante à la présidente du Conseil supérieur de l'éducation. Comme il y est expliqué, c'était dans le but de lui pour faire part de mes questions sur l'interprétation des sondages dans l'avis de 2005 et de recueillir ses remarques. Tout ceci à la suite d'une première démarche auprès des signataires de l'avis qui s’est soldée par une objection de principe du président d’alors.

Pourquoi revenir ainsi sur un texte du CSE ?

parce que le recours à l’assentiment populaire s’est avéré déterminant pour la décision de rendre obligatoire le programme Éthique et culture religieuse au primaire et au secondaire;

parce que le CSE est un acteur important dans le monde de l’éducation, ses avis devenant des références majeures pour le Ministre et pour plusieurs autres intervenants ;

parce que l’analyse sociale du débat relatif à cette question ne peut faire l’économie d’un examen de toutes les sources utilisées ;

parce qu’un avis du CSE constitue un document public qu’il peut être utile de mieux comprendre et même de questionner ;

parce que les difficultés à accepter et à adapter ce programme tiennent peut-être à une mauvaise perception des attentes de la population ;

parce qu’il vaut mieux, en régime démocratique, ne pas considérer les avis, si officiels soient-il, comme des documents définitifs, fermés, classés…


Voici donc la teneur de la missive demeurée «lettre morte» :


Québec, le 22 avril 2008


Madame Nicole Boutin, présidente
Conseil supérieur de l’éducation
1175, avenue Lavigerie, bureau 180Québec (Québec)
G1V 5B2

Objet : avis du Conseil en 2005


Madame,

Vous avez pris connaissance vendredi dernier de la démarche que j’avais faite auprès des membres du Conseil en 2005 lors de la publication de l’avis Pour un aménagement respectueux des libertés et des droits fondamentaux : une école pleinement ouverte à tous les élèves du Québec. M’étant engagé dans une relecture de ce rapport en ce qui concerne l’utilisation des données empiriques sur l’appui de la population, j’en suis venu à certaines hypothèses que je voulais vérifier auprès des témoins de première ligne que constituent les signataires. J’avais naïvement oublié les incidences institutionnelles d’une telle entreprise. Le président d’alors, monsieur Jean-Pierre Proulx, qui avait déjà invoqué son droit ou son devoir de réserve lors d’un échange sur le blogue du RAEQ, a laconiquement indiqué que c’était à la présidente actuelle de réagir sur le contenu de l’avis. «Le Conseil supérieur de l'éducation n'a qu'un porte-parole. C'est sa présidente, Mme Nicole Boutin.», laissant ainsi entendre que je devais m’adresser à vous et que les membres impliqués ne devaient pas se prononcer puisqu’il s’agit de la prérogative de la présidence. Je pensais qu’un document émis depuis plus de trois ans pouvait être discuté ouvertement …

Votre Code d’éthique et de déontologie impose bien un devoir de discrétion pour «respecter le caractère confidentiel de l'information reçue» (art. 4) mais je ne questionne aucunement sur des aspects qui seraient confidentiels puisque je me réfère aux énoncés de l’avis et à la pertinence de l’interprétation avancée. Je me reporte au texte produit et non à ce qui relève des personnes en tant que telles. De plus, le document de référence Règlement sur l'éthique et la déontologie des administrateurs publics apporte une précision importante : «Cette obligation [de discrétion] n'a pas pour effet d'empêcher un administrateur public représentant ou lié à un groupe d'intérêts particulier de le consulter ni de lui faire rapport, sauf si l'information est confidentielle suivant la loi ou si le conseil d'administration exige le respect de la confidentialité» (art.6). En outre, je pense que le délai de trois ans est amplement suffisant pour laisser les membres libres de s’exprimer sur le contenu puisque le document législatif n’impose qu’un an d’attente quant à la reprise d’activités pouvant susciter des conflits d’intérêt (art.18). Dans mon cas, nulle demande de divulgation d’éléments confidentiels et nul risque de conflit d’intérêt.

Je considère qu’une juste interprétation des règles de déontologie ne permette pas de restreindre le droit de questionner la teneur d’un avis auprès des membres qui demeurent libres de répondre en préservant la confidentialité des informations comme il se doit. Il s’agit ici d’une matière d’intérêt public, traitée selon une méthodologie de recherche. Dans l’hypothèse contraire, les participants à un organisme public seraient contraints à un silence absolu et permanent, mais ce n’est pas «le meilleur des mondes» que nous souhaitons.

Je vous prie donc de me dire si vous trouvez acceptable que je poursuive ma démarche. Nonobstant votre réponse, comme le propose votre prédécesseur, je vous demande si vous jugez plausibles les hypothèses que je soulève sur l’interprétation des données statistiques véhiculée par l’avis en cause (cf. texte «En 2005, le CSE a-t-il bien interprété les sondages?» à http://ethiqueetculturereligieuse.blogspot.com/2008/04/en-2005-le-cse-t-il-bien-interprt-les.html). Je ne pensais pas que mon initiative prendrait cette tournure plus «officielle» mais vous comprendrez que les circonstances l’obligent en quelque sorte.

Si vous désirez plus d’information sur ma démarche, il me fera plaisir de vous en donner. Le cas échéant, je peux vous rencontrer à cet effet. Je vous demanderais alors de me fixer un rendez-vous à Québec au cours des deux prochaines semaines.


En espérant une réponse dans les meilleurs délais, je vous demande d’accepter l’expression de mes sentiments distingués.

Roger Girard

[avec mes coordonées postales et téléphoniques]


La secrétaire de la présidente m’a confirmé au téléphone la réception de la lettre mais je n’ai encore obtenu aucune réponse de la présidente. Si vous portez les mêmes interrogations que moi, essayez de votre côté, vous serez peut-être plus «chanceux», et donnez-m’en des nouvelles.