jeudi 9 octobre 2008

ÉCR en débat: une interprétation douteuse des sondages sur l’enseignement religieux

(version évolutive)


Dans un texte paru le 19 septembre dernier, sous le titre «La majorité souhaite un enseignement non confessionnel», le professeur Jean-Pierre Proulx soutient que les résultats du sondage Léger Marketing Le Devoir réalisé en août 2008 viennent confirmer «la tendance observée avec constance depuis 1998 quant aux attentes des Québécois concernant la place de la religion dans l'enseignement à l'école».

Bien qu’elle reflète une idée largement partagée par les leaders d’opinion des milieux universitaire, syndical et autres, la thèse avancée avec chiffres et tableaux à l’appui est-elle aussi solide que l’auteur le prétend? La question est d’autant plus importante que la décision de rendre obligatoire le programme Éthique et culture religieuse avec la loi 95 en 2005 suppose une ouverture de l’opinion publique à l’égard de l’enseignement de la religion à l’école.

En effet, il faut rappeler l’explication du ministre François Legault, en 2000, lors de l’adoption de la loi 118 qui instaurait un programme Éthique et culture religieuse pour la fin du secondaire seulement en conservant le régime d’option entre un enseignement moral et religieux confessionnel (catholique ou protestant) et un enseignement moral uniquement. Celui-ci avait alors déclaré qu’il convenait «d’accompagner le Québec dans son évolution socioreligieuse, sans chercher à résister à cette évolution, sans chercher non plus à la téléguider à distance du pays réel». C’est dire que les élus estimaient en 2005 que la population était prête pour ce virage crucial en la matière, car ils auraient hésité à adopter la loi 95 s’ils avaient pensé que cette «évolution socioreligieuse» ne s’était pas réalisée depuis 2000. Les consultations en commission parlementaire et les débats à l’assemblée nationale n’ont toutefois pas donné lieu à une discussion des fondements empiriques de cette perception de la société québécoise. Dans son communiqué de presse du 5 mai 2005, le ministre Fournier avait déjà affirmé que le nouveau programme était «largement souhaité par une majorité de Québécois» et le site ministériel reprend encore aujourd’hui cette allégation comme allant de soi. La chose est peut-être vraie, mais sans doute pas sur la base des données disponibles.

En réactualisant ainsi l’argument statistique de la majorité en faveur du nouveau programme, dans le sillage de l’avis (février 2005) présenté par le Conseil supérieur de l’éducation qu’il présidait alors, le professeur Proulx nous donne l’occasion de porter un nouveau regard sur les sondages utilisés et sur l’interprétation qui en est proposée. Il y a quelques mois, dans présent blogue et dans celui du RAEQ, j'ai eu l'occasion de débattre de cette question avec Jean-Pierre Proulx: invité à se prononcer sur une possible remise en question des avancés de l'avis du Conseil. il avait refusé en invoquant son droit ou son devoir de réserve...Voici brièvement trois remarques de nature à remettre en question la constance de la dite «tendance majoritaire» ressortant des sondages.

1- L’ignorance de la marge d’erreur

Le sondage Léger Marketing de 2008 rapporte bien que 52% des répondants ont jugé préférable d’offrir «le nouveau cours d’éthique et de culture religieuse», mais le rapport précise bien que l’échantillon présente une «marge d’erreur maximale de ±3,4%, 19 fois sur 20». C’est dire que le score 52% doit plutôt être considéré comme se situant entre 48.6% et 56.4% dans 95% des cas. Pour certains spécialistes, si l’on désire augmenter le niveau de fiabilité à 99%, la marge d’erreur grimpe alors à 4,4%. En tenant compte de la marge d’erreur, on ne peut donc conclure à une nette majorité absolue, si minime soit-elle.

2- L’amalgame des questions dans la grille interprétative

S’il est difficile d’interpréter un sondage avec certitude ou du moins selon une méthode qui permette d’éviter de prêter aux résultats une signification indue, la tâche devient encore plus complexe et plus risquée lorsque l’on établit des liens entre plusieurs sondages. Le tableau 1 du professeur Proulx présume que d’un sondage à l’autre, les questions ont la même signification et qu’elles entrent simplement sous la rubrique annoncée. Mais rien n’est assuré là-dessus. Par exemple, dans le sondage du CRIC en 2004, il est possible que des répondants du Québec se soient prononcés en faveur de «renseigner les enfants sur toutes les grandes religions du monde» en ayant en tête que cela se faisait déjà dans l’école avec les programmes d’enseignements moral et religion catholique et protestant suivis par la majeure partie des enfants. J’ai tenu à vérifier cette hypothèse auprès de la responsable du sondage à cette époque, madame Gina Bishop, et elle m’a confirmé par écrit que cela a pu se produire. Il est donc présomptueux de considérer les résultats à cette réponse comme équivalents au choix de l’énoncé «le nouveau cours d’éthique et de culture religieuse». Dans les sondages ici mis à contribution, les répondants n’ont certes pas saisi les sujets traités d’une manière aussi uniforme que lors d’enquête sur des produits commerciaux ou sur des candidats politiques bien identifiés, et la corrélation des scores d’un sondage à l’autre devient par conséquent plus délicate. Faute de considérer le sens propre de chaque question dans chaque sondage, l’exercice risque de fausser l’analyse sociale en réifiant l’opinion publique.

3- La sélection de sondages convergents

Avec raison, le professeur Proulx fait appel à des sondages réalisés de manière rigoureuse, par des firmes professionnelles. Mais pourquoi avoir écarté un sondage mené en même temps que celui de la Coalition pour la déconfessionnalisation du système scolaire en février 2005, qui fut produit également par Léger Marketing et peut-être auprès du même échantillonnage? Le sondage en cause est donc tout aussi «scientifique» que les autres, figurant d’ailleurs dans le répertoire Opinéduq dont il est le maître d’œuvre. En dépit d’une faible notoriété, ce sondage demandé par l’Association des études canadiennes s’avère tout autant susceptible d’apporter un éclairage valable sur les attentes de la population : il vient cependant infirmer la «tendance» défendue par le professeur Proulx. À titre d’indication, la seule mention médiatique retracée, un article dans The Gazette le 17 février 2005, portait ce titre plutôt à contre-courant : «Most Quebecers favour religion in school».

Et que penser du refus de prendre en compte le sondage de CROP de 2007, sous le prétexte que celui-ci aurait insistait sur la liberté au détriment de la considération des «bonnes et légitimes raisons» qui peuvent justifier les contraintes imposées par la loi. Ce sondage risquait évidemment de mettre à mal la «tendance» si bien exprimée par les sondages retenus.

En somme, la constance que démontre le texte du professeur Proulx tient moins des statistiques que de la démarche interprétative. Face aux problèmes en éducation, comme dans d’autres domaines, le recours à des constructions factices de l’opinion publique ne peut que compromettre la délibération en vue du bien commun et la crédibilité des solutions mises de l’avant. Au-delà des convictions personnelles et des représentations convenues, s’appliquer à bien percevoir la société existante que l’on désire améliorer de quelque façon. Tout le défi est là!


11 commentaires:

Anonyme a dit…

Vous voyez juste, M. Girard.

Depuis que mon garçon "subit" ce cours et qu'il me témoigne de ce qu'on y enseigne et comment on l'enseigne, je me suis senti la responsabilité de chercher à savoir qui au juste a conçu un programme aussi insidieux dans son approche des sujets qu'il se prétend l'éclaireur.

À mon grand étonnement, mes recherches m'ont ammené bien au delà du Ministère de l'Éducation et m'ont convaincu que nous, citoyens québécois, avont été bien trompés.

Ce qu'on nous présente comme un instrument éducatif conçu par notre État, par nos institutions et nos professionels, a plutôt été conçu par des fondations privées aux visées politiques et économiques bien intéressées et qui nous a été "imposé" par le truchement de leurs tentacules bien rattachées à l'UNESCO, OCDE et l'International Bureau of Education.

Les ébauches de ce programme (réforme et cours d'ECR) sont disponnibles pour consultation sur le site de l'OCDE et on y recconnaît tout de suite ce qu'on tente de nous servir actuellement dans nos écoles.

Mes recherches sur les auteurs, chercheurs, directeurs, et fondations privées (tous intimement reliés), m'ont permis de remonter aux origines conceptuels de ce qui n'est rien d'autre qu'un programme de conditionnement comportemental (lavage de cervau) destiné à tous les systèmes d'éducation des pays membres de l'UNESCO.

Ces fondations privées, au contrôle de puissantes multinationales et banques, ont, depuis 1908, mobilisé les pioniers du behaviorisme tant américains que de l'Union Soviétique, pour développer ce programme déjà en ce temps prévu pour n'être efficace et fonctionel 50 ans (générationel) après son implantation suite à la deuxième guerre mondiale.

Je peux, si vous le souhaitez, vous fournir les liens vers la documentations.

En ce moment, j'observe la bataille d'opinion publique par le pouvoir catholique qui cherche à reprendre sa clientelle que ces fondations privées lui ont subtilisée par l'obligation à ce cours imposée aux parents. Deux pouvoirs d'endoctrinement en guerre pour le contrôle des consciences et dont les armes utilisées sont les mêmes, c'est à dire une fallacieuse prétention d'être au service de la protection de la libre-pensée.

Roger Girard a dit…

Monsieur Gébé, je vous remercie de l’intérêt que vous portez à mon site.
Vous soulevez plusieurs questions auxquelles je ne peux actuellement répondre avec tous les détails qu’il conviendrait.
Pour moi, l’actuel programme Ethique et culture religieuse s’avère aussi québécois que notre «poutine». Naturellement, les concepteurs ont été influencés par des tendances exprimées en d’autres pays, et ils ne s’en sont pas cachés puisqu’il y a plusieurs références étrangères en bibliographie. Les nombreuses théories éducatives évoluent constamment, et il n’est pas facile de se retrouver : tous les spécialistes veulent améliorer, bien que la pratique démontre du plus et du moins. Mais ils ont produit tout de même un programme assez original, y compris par ses faiblesses.
Vous en avez beaucoup contre le «lavage de cerveau» et je vous suis là-dessus. Mais il s’agit d’une dérive bien humaine, qui se pratique de façon naturelle dans une société et qui n’a pas besoin d’être pensé et planifiée de l’extérieur par de grandes organisations. Plusieurs ont déjà porté cette accusation à l’endroit de la formation offerte par diverses écoles existant aux siècles précédents, ce n’est donc pas une invention de 1908… Beaucoup d’universitaires qui ont critiqué le «behaviorisme» ont été encouragés dans leurs recherches et leurs écrits par des «fondations privées» et des organismes qui, selon vous, sont supposés en faire la promotion pour un «programme de conditionnement comportemental».
Toute existence individuelle et sociale comportes des conditionnements implicites et explicites. Même dans la perspective de sauvegarder la libre-pensée, il convient de faire attention pour bien les situer : ce qu’ils sont réellement, leur origine, les personnes impliquées, leurs effets plus ou moins inévitables. Conclure rapidement ou trop généraliser entraînent évidemment certains risques au plan de la compréhension et de l’agir.
Je ne poursuivrai pas davantage mais je compléterai un point ou l’autre si vous me le demandez..

Anonyme a dit…

Il sagit bien d'une version québécoise d'un programme "international". Voici un extrait d'une chronologie de la réfrome publiée dans Revue Vie Pédagogique:

"Dans l’École, tout un programme4, la ministre de l’éducation, Pauline Marois fera clairement allusion au fait que la réforme qu’elle propose n’est pas un acte isolé, mais s’inscrit dans un vaste mouvement international : « Les choix que traduit cet énoncé de politique sont conformes (…) aux attentes de la population à l’endroit de l’école. (…) En outre, ces choix correspondent pour l’essentiel à ceux que font présentement la plupart des pays occidentaux en matière de contenus d’enseignement, mais ils tiennent compte de notre contexte culturel propre. » (p. 3) Quant au rôle important des enseignants, elle y fera allusion en écrivant : « C’est donc Tout un programme que je propose pour les élèves et pour l’école. Le personnel enseignant est sur la première ligne des changements attendus. » (p. 4) Aussi, dans Réaffirmer l’école5, les auteurs du rapport précisent : « Le Centre pour la recherche et l’innovation dans l’enseignement (CERI) de l’OCDE étudie depuis dix ans les réformes des programmes d’études entreprises dans les différents pays membres."

http://www.mels.gouv.qc.ca/sections/viepedagogique/146/index.asp?page=reformes

Voici un témoignage du premier père de la réforme, M. Paul Inchauspé :

"C’est de réforme du programme d’études qu’il s’agit, pas de réforme pédagogique! Ce que j’ai voulu, c’est que les pédagogies nouvelles puissent exister, et non pas qu’elles soient imposées. Et que les enseignants aient plus de liberté pour utiliser les pratiques pédagogiques qui conviennent, suivant leur jugement et les situations.

I.G.: Comment a-t-on pu dévier à ce point?

P.I.: D’abord, il y a eu l’intervention des vendeurs de formations, des éditeurs, qui se sont engouffrés dans cette ouverture en vantant des pédagogies nouvelles, en disant que celles-ci collaient à l’esprit de la réforme.

Il y a eu aussi les batailles d’universitaires – les tenants de la conception constructiviste de l’apprentissage y ont vu l’occasion de prendre leur revanche sur les behavioristes, dont la théorie triomphait depuis les années 1970.

Et il y a eu le ministère de l’Education lui-même. Je ne sais ni quand ni sous l’influence de qui s’est fait le passage d’une réforme du programme d’études à une réforme pédagogique. Et cette déviation dans le discours public a été attisée par l’entreprise systématique de dénigrement des médias."

http://www.selection.ca/mag/2007/09/paul_inchauspe.html

Il a raison, puisque ces mêmes fondations sont aussi c'elles qui nous ont donné les instruments d'influence d'opinion publique par les monopoles journalistiques. Elles sont le Council on Foreign relations et la toute nouvelle European Council on Foreign Relations.

Et son témoignage correspond exactement à ceux qui proviennent d'experts en éducation dans les autres pays de l'OCDE et surtout des USA et qui dénoncent cette manipulation.

Je vous invite à lire un livre gratuit mis en ligne par Charlotte Thomson Iserbyt, former Senior Policy Advisor in the US Department of Education, qui donne en détail la chronologie de l'instauration de ce processus:

http://www.deliberatedumbingdown.com/

Roger Girard a dit…

Monsieur Gébé,
(Je ne vous avais pas oublié!)

Vous semblez bien assuré que le programme constitue une «version québécoise d'un programme "international"», et vous y voyez la résultante de pressions occultes de la part de puissantes fondations aux objectifs néfastes.

Vous me présentez grosso modo trois «preuves» émanant respectivement d’une publication gouvernementale, d’un initiateur de la réforme et d’une auteure étasunienne ex-conseillère politique en éducation. Je connais assez bien vos deux premières sources, quant à la dernière, je me suis livré à une rapide consultation de l’ouvrage citée, heureusement accessible sur Internet.

Je ferai quelques commentaires sur ce que vous ressortez de chacune des sources, en m’attardant sur la dernière. J’espère que vous trouverez mon propos aussi juste que mon billet initial.

En premier lieu, on doit dire que dans l’article de Vie Pédagogique (2008), «Les réformes au Québec, d’hier à aujourd’hui : une symphonie inachevée», votre extrait décrit assez bien ce qui s’est passé. À diverses reprises, les responsables et les documents officiels mentionnent les sources internationales qui ont alimenté la réflexion et le travail d’élaboration sur les programmes. Donc, rien de caché là-dedans. Quand on étudie attentivement ce qui fut emprunté des écrits venant de l’extérieur, on peut voir que plusieurs glissements se sont effectués, par manque de compréhension ou par soucis d’adaptation. On pourrait dire que ces références servent souvent de vitrine pour manifester le sérieux de la démarche, l’ampleur de la recherche et la valeur du programme. Cette tendance à se référer aux sources internationales tient peut-être d’un genre de mode, mais c’est aussi un moyen de s’assurer de la pertinence des principes et des modalités à privilégier dans un programme d’étude. Je suis porté à penser qu’un défaut du programme actuel que vous seriez porté à attribuer à un texte international ( par exemple, la réduction de la formation scolaire à une simple préparation à l’emploi) pourrait tout autant exister sans l’influence extérieure. Plusieurs système d’éducation nationale «en serre fermée» (en autant que la chose puisse se produire) pourraient apparaître tout autant pragmatiques à ce point de vue. Donc, il n’y a pas lieu de conclure à l’assujettissement de notre programme québécois à un programme international donné.
Vous utilisez le témoignage de M. Paul Inchauspé en un sens qu’il renierait sans doute. Dans son rapport du Groupe de travail sur la réforme du curriculum, «Réaffirmer l'école :PRENDRE LE VIRAGE DU SUCCÈS», il se situe pleinement dans la perspective supportée par les organismes internationaux. Quand il parle de la réforme de programme qui a dévié en réforme pédagogique, je ne pense pas qu’il y voit l’influence des grandes «fondations» qui oeuvrent au plan mondial. Moi-même, au tout début de la réforme, j’ai entendu des responsables ministériels et locaux de cette réforme curriculaire insister principalement sur des applications pédagogiques comme la réalisation de projet. Que voulez-vous, les principes ne sont toujours faciles à comprendre et à véhiculer… Les médias ont rapporté ce que les intervenants disaient ou laissaient voir de la réforme ( M. Inchauspé joue ici un peu trop à la victime quant au traitement de la réforme par les médias). Que l’on en vienne à imposer ainsi des méthodes pédagogiques aux enseignants sans compter sur leur liberté et leur jugement professionnel, c’est un effet de notre système scolaire et non l’aboutissement de directives ou d’action de l’extérieur. Cette propension à tout centraliser s’expliquer par notre contexte québécois et par les habitudes ancrées dans notre société. Une tendance naturelle de toute société qui ne peut se dispenser de la mise en place d’un certain pouvoir d’organisation.

Alors, parler de «manipulation» comme vous le faites me semble difficilement explicable. C’est pour tenter de le faire que vous me référer au volumineux livre de Charlotte Thomson Iserbyt. Celle-ci a écrit un ouvrage sans doute rempli d’informations mais dont la qualité de traitement laisse beaucoup à désirer. C’est impressionnant, mais les quelques vérifications que j’ai faites me porte à croire qu’elle a utilisé tout ce qu’elle a trouvé pour étayer sa vision, sans rendre compte de ce qu’elle laissait de côté ou, plus encore, sans se rendre compte elle-même de la chose.

C’est un écrit pamphlétaire aux effets rhétoriques certains, mais le traitement des sources demeure très discutable. Sa thèse (l’existence d’une volonté délibérée d’abêtir la société étasunienne) serait plus crédible si elle avait laissé une place aux nuances critiques ou aux questions susceptibles de rester en suspens. Rien de cela, tout va dans le même sens. L’histoire qu’elle présente prouverait à 100% ce qu’elle avance. C’est comme trop beau pour être vrai… Enfin, un historien sérieux ne procède pas ainsi.

Pour être en mesure de juger si les idées exprimées dans «The Deliberated Dumping down of America», je ne pouvais me permettre de tout passer au crible. il est difficile d’être au courant de tous les faits et les situations dont elles parle dans son livre. Pour être en mesure de vérifier la teneur ce qui est exprimé dans son ouvrage, je me suis reporté à une publication tout aussi volumineuse mais élaborée de manière plus articulée au plan de la situation historique des sources et au plan de l’analyse des contenu. Il s’agit de «Understanding Curriculum : An Introduction to the Study of Historical and Contemporary Curriculum Discourses», Peter Lang Publishing , New-York,1995, 1143 pages. Les auteurs, William Pinar et autres, ont passé en revue plus de 3000 documents sur l’éducation publiés surtout aux USA. Peu des auteurs cités par Charlotte Thomson Iserbyt sont traités par Pinar (elle fait appel surtout à des responsables politiques), mais avec ceux qui le sont, on constate l’approche réductrice de l’ex-conseillère d’État.

Par exemple, elle cite un texte du professeur George Counts, un ardent défenseur du rôle de l’école dans le changement social, mais qui s’est opposé fortement à une approche purement scientifique de cette fonction, comme les partisans du behaviorisme en éducation. Pour elle, celui-ci est comme les autres. Elle parle aussi «d’éducation globale» comme d’une notion maléfique qui ne peut avoir que des effets dévastateurs… En éducation comme dans d’autres sphères de l’activité sociale, il est normal d’emprunter ce qui semble bon ailleurs sans y voir un danger de perte pour la nation. Dans le monde de l’éducation, on cherche à améliorer, des trensions se manifestent, des groupes interfèrent, des idées circulent, c’est la vie. C’est aussi le prix de l’évolution (quand c’est le cas!) On essaie toujours de se donner une idée d’ensemble, mais un jugement simpliste ne suffit pas.

On peut trouver mille exemples d’un «abêtissement» de la société étasunienne comme de la nôtre, avec ses manifestations dans les écoles (les adultes voient toujours plus de défauts chez les jeunes): qualité de la langue et de la réflexion, manque de convictions personnelles, loisirs insignifiants voire abrutissant, perte du sens des valeurs, gaspillage de toutes sortes… Convenons que l’abêtissement existe. Mais de là à affirmer que cet abêtissement est planifié adroitement par certains groupes qui veulent ainsi mener le pays à sa ruine, c’est difficile à accepter. C’est plus une croyance qui sert de grille d’analyse qu’une situation évidente. La réalité sociale ne se résume pas ainsi à des bons et des méchants comme dans certains films. Il y plusieurs causes pouvant concourir aux défauts de l’éducation et de la société en général qu’il est tout à fait improbable qu’elles se résument à une seule source… Les relations de causalité établies entre les faits évoqués sont plutôt arbitraires, peu fondées sur une analyse des diverses possibilités du contexte. Le risque est grand alors de porter des jugements préjudiciables aux personnes en cause et à la recherche d’une meilleure harmonie sociale (on imagine des ennemis là il n’y en a pas, on ne voit pas ce que des gens d’aussi bonne volonté que nous essaient de réaliser au bénéfice des autres…)

En somme, je dois le confesser, je demeure loin d’être convaincu par ce que j’ai pu lire de l’ouvrage de Charlotte Thomson Iserbyt. Elle semble plus influencée par ses craintes et ses idées politiques que par une observation attentive de ce qui se passe vraiment dans la société. Vous, qu’est-ce que vous trouvez de vraiment bien fondé dans ce livre?

Anonyme a dit…

Merci pour votre réponse, M. Girard.

Il faudrait alors peut-être informer la CLÉ et autres groupes contre cette réforme et son cours ECR que ceux-ci sont parfaitement innofencifs, conçus dans l'esprit de l'intérêt commun, de l'harmonie sociale et que c'est pourquoi ils doivent être imposés à tous.

Comment-donc ces groupes chrétiens en sont-ils arrivé à voir quelque mal derrière tant de bonnes intentions ?

Roger Girard a dit…

M. Gébé Tremblay,

J’essaie de peser le pour et le contre des affirmations qui sont faites par ceux qui dénoncent «cette réforme et son cours ECR » que par ceux qui s’en font les défenseurs. Ce n’est pas toujours facile de vérifier ce qu’il en est dans la réalité. La CLÉ met d’abord l’accent sur la défense des droits, pour ma part, c’est surtout sur la qualité pédagogique et éducation. Dans un tel débat, les protagonistes se fondent sur certains principes mais leur perception de la réalité sociale doit être la plus adéquate possible, sans quoi les meilleurs principes perdront de leur pertinence.

Si je mets en doute votre idée que le programme québécois ne serait qu’une version d’une programme international appliqué ici sous l’influence de groupes de personnes voulant délibérément détériorer notre société, c’est à partir des trois sources que vous m’avez soumises. Il est facile de voir des choses qui n’existent pas comme telles, c’est pourquoi nous avons avantage à discuter des points de vue entre nous. Il est toujours risqué de porter un jugement sur les intentions des gens en cause : c’est pourquoi il vaut mieux s’en tenir aux faits observables. Le mal se constate en maintes occasions, mais il convient de ne pas empirer la situation en s’illusionnant sur son origine ou ses responsables… À viser trop grand sans vérifier les manifestations concrètes, on risque de se retrouver comme Don Quichotte luttant contre les moulins à vents!

Enfin, si vous avez d’autres éléments à me soumettre, nous poursuivrons…

Anonyme a dit…

http://portal.unesco.org/shs/fr/ev.php-URL_ID=1688&URL_DO=DO_TOPIC&URL_SECTION=201.html

Anonyme a dit…

http://www.cmec.ca/international/oecd/OECD.EdMinCom.fr.pdf

Anonyme a dit…

http://www.unesco.org/delors/delors_f.pdf

Anonyme a dit…

Dans "l’École, tout un programme", la ministre de l’éducation, Pauline Marois fera clairement allusion au fait que la réforme qu’elle propose n’est pas un acte isolé, mais s’inscrit dans un vaste mouvement international : « Les choix que traduit cet énoncé de politique sont conformes (…) aux attentes de la population à l’endroit de l’école. (…) En outre, ces choix correspondent pour l’essentiel à ceux que font présentement la plupart des pays occidentaux en matière de contenus d’enseignement, mais ils tiennent compte de notre contexte culturel propre. »

http://www.mels.gouv.qc.ca/sections/viepedagogique/146/index.asp?page=reformes

Anonyme a dit…

On le verra plus loin, les réformes scolaires ne sont pas isolées. Elles se réalisent bien souvent en même temps que d’autres réformes initiées dans d’autres pays. Les auteurs, en début de conférence, citent une déclaration d’Émile Durkheim datant de 1904, concernant l’enseignement secondaire en France, et qui peut s’appliquer à toutes les réformes : « L’enseignement secondaire traverse depuis plus d’un demi-siècle une crise grave qui n’est pas encore, il s’en faut, parvenue à son dénouement. Tout le monde sent qu’il ne peut pas rester ce qu’il est, mais sans qu’on voie encore avec clarté ce qu’il est appelé à devenir. De là, toutes ces réformes qui se succèdent périodiquement, qui se complètent, se corrigent, parfois aussi se contredisent les unes les autres; elles attestent à la fois les difficultés et l’urgence du problème. La question, d’ailleurs, n’est pas spéciale à notre pays. Il n’est pas de grand État où elle ne soit posée et dans des termes presque identiques. Partout, pédagogues et hommes d’État ont conscience que les changements survenus dans la structure des sociétés contemporaines, dans leur économie interne comme dans leurs relations extérieures, nécessitent des transformations parallèles et non moins profondes de leurs systèmes éducatifs. (…)

http://www.mels.gouv.qc.ca/sections/viepedagogique/146/index.asp?page=reformes

M. Girard, connaissez-vous Emile Durkheim et dans quel contexte il a dû développer ses programes ? Il devait s'assurer qu'ils fassent abstraction du plan réel du régime en place. Autrement-dit, un programme qui se concentre sur une réalité de surface.

http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89mile_Durkheim