jeudi 21 août 2008

Pour les difficultés en ÉCR, les enseignants seront les premiers blâmés (Dossier CRIFPE, prise 3)

Tout porte à croire que les enseignantes et les enseignants qui seront chargés du nouveau cours Éthique et culture religieuse en septembre prochain n’ont pas reçu la formation adéquate pour ce programme. Le constat que nous livre le dossier du dernier bulletin Formation et Profession (du CRIFPE) trouve une confirmation très claire et bien appuyée avec le dossier paru dans Le Soleil les 26 et 27 juillet 2008 sous la plume de la journaliste Daphnée Dion-Viens. (Les articles sont d’ailleurs reproduits sur le site Infobourg.)

Mais s’il survient des problème dans les écoles concernant le programme Éthique et culture religieuse (et plusieurs personnes bien avisées le prévoient), qui tiendra-t-on responsable? Il y a fort à parier que la responsabilité sera attribuée à l’enseignante ou à l’enseignant en classe. En quelques mots, voici pourquoi.

On ne peut s’empêcher de penser que les responsables au Ministère et au palier local se montreront très réticents à rappeler le manque de temps et de ressources pour l’implantation, de même qu’à souligner les difficultés inhérentes au programme dont les finalités prometteuses ne s’appuient pas sur toutes les précisions conceptuelles et pédagogiques nécessaires. D’ailleurs, comme ce fut le cas avec l’appropriation du «renouveau pédagogique», les gestionnaires ont parfois jugé que des enseignants exprimaient des réticences simplement parce qu’il avaient «peur du changement».

Le blâme tombera sur le personnel enseignant aussi et surtout parce que le programme exige d’adopter une nouvelle «posture professionnelle» et que la plupart des situations problématiques pouvant survenir en classe seront facilement reliés à une carence au plan de cette «posture professionnelle» fondée sur «un jugement empreint d’objectivité et d’impartialité»… Et comme le recours à la «posture professionnelle» semble avoir servi d’expédient aux difficultés de clarification pédagogique des composantes officielles d’un programme d’études, le personnel enseignant a à assumer, dans ses manières de réagir et de se comporter, les lacunes et les incohérences que mettra à jour l’application concrète du programme dans des classes «ordinaires», bien différentes de celles qui ont vécu l’expérimentation. Les enseignants ne retrouvent pas dans le programme lui-même ce que signifie cette «objectivité» et cette «impartialité» en classe, de sorte qu’ils ont à en déduire eux-mêmes la teneur et les applications. Leur bonne volonté ne pourra suffire à les disculper des soupçons de comportements arbitraires devant tel ou tel cas litigieux pour les élèves, pour leurs parents et même pour tout groupe religieux ou convictionnel visé. Les responsables scolaires pourront toujours alléguer un manque au plan de la «posture professionnelle» comme cause du problème…

Dans leur empressement à produire et à implanter le programme, un détail a échappé aux responsables : on ne change pas de «posture professionnelle» comme on change de chemise. C’est une entreprise de longue haleine, liée à la formation professionnelle dans ses dimensions psychosociales, qui s’étend sur des années, selon les spécialistes de cette question. Alors, prévoir dans le «kit» d’appropriation du nouveau programme le développement d’une nouvelle posture professionnelle, comme si l’opération pouvait être réalisée avec quelques jours de formation, tout en faisant de cette «posture» un paramètre incontournable de la mise en œuvre du programme, tout cela tient plus du rêve que du réalisme.

D’ailleurs, les auteurs du dossier du CRIFPE expriment ouvertement les grandes difficultés à adopter cette posture professionnelle exigée. Ainsi, pour Suzanne Rousseau, de l’UQTR, «Prétendre que des savoirs limités puissent garantir une posture d’objectivité, voire de neutralité est un leurre». De son côté, Mireille Estivalèzes, de l’Université de Montréal, énonce que « la posture impartiale semble un objectif difficile à atteindre. Pour certains enseignants, le changement de posture demandé constitue parfois une véritable reconversion…» Sans cette «posture», faut-il le rappeler, le programme risque de produire des résultats contraires à ceux recherchés!

Autre facteur important, les enseignantes et les enseignants ne pourront compter sur leurs syndicats pour les défendre en cas de «pépins». Ces derniers se sont débattus, particulièrement depuis les États généraux de l’éducation en 1995 et à chaque consultations depuis, pour compléter la laïcisation du système scolaire en enlevant l’enseignement religieux confessionnel. Le cours ÉCR que nous avons aujourd’hui se présente comme l’ultime et incontournable étape. Alors, que personne ne vienne compromettre la réalisation de cet objectif «historique». Comme le souligne Jean-Pierre Proulx dans le dossier, les responsables syndicaux semblent maintenant satisfaits que le programme soit implanté et se montrent peu loquaces sur les conditions de réussite à respecter. On se souviendra que le président de la CSQ, Réjean Parent, déclarait en décembre dernier ne pas douter que les enseignants seraient tout à fait prêts pour enseigner le programme ÉCR en septembre 2008. Il faisait alors appel à leur professionnalisme : qui osera mettre sa parole en doute?

Dans les circonstances, il est fort possible que plusieurs titulaires du primaire restreignent énormément le temps consacré à ce programme, pour éviter des problèmes de tous côtés… On ne pourra leur en vouloir d’éviter le plus possible les inconvénients d’un programme difficile à appliquer, peu adapté aux élèves et pour lequel ils sont encore en attente de formation. Si jamais des élèves de leur groupe obtenaient une exemption pour des motifs de liberté de religion et de conscience, ils n’auraient sans doute pas à être retirés ni longtemps, ni fréquemment!

Nul ne peut en douter, même s’ils ne sont pas les premiers responsables de la situation, les enseignants seront les premiers blâmés : ils sont pris dans le système et ne peuvent plus refuser. Ils sont présumés avoir été consultés et préparés adéquatement. Qui les défendra en mettant en cause le programme, avec «sa lourdeur et les défis qu’il constitue» (Suzanne Rousseau), ou en pointant les piètres conditions de formation et de mise en œuvre?

En définitive, la réaction des parents insatisfaits et inquiets, jusqu’à demander l’exemption pour leur enfant, représente peut-être la seule chance de manifester clairement que le programme, malgré ses promesses et l’enthousiasme de certains, comporte des problèmes jusqu’ici tenus dans l’ombre mais qui exigent d’être considérés avec soin. C’est peut-être de cette manière, en prenant en compte lecontexte réel d'application du programme, que l’on aidera les enseignants et les enseignantes à agir avec tout le professionnalisme dont ils sont capables.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Les syndicats. Un troisième pouvoir entre l'église et l'establishment corporatif.

Votre texte est vraiment éclairant.

Tout votre site est une lumière.

Les pièces du puzzle se mettent en place et le portrait commence à avoir des visages.