Les éditeurs étant tenus de reprendre fidèlement les énoncés d’un programme d’études, nous risquons de nous retrouver avec de graves «irritants» conceptuels en Éthique et culture religieuse, les publications didactiques approuvées étant diffusées et utilisées dans l’ensemble du Québec. C’est pourquoi j’ai adressé une lettre à la ministre Courchesne pour lui demander de remédier à la situation. En effet, elle est la seule en mesure d'intervenir pour assurer les ajustements de contenu et de procédure qui s’imposeraient dans les circonstances actuelles. Voici le texte de cette lettre:
Québec, le 4 avril 2008
Madame Michelle Courchesne
Ministre de l'Éducation, du Loisir et du Sport
Gouvernement du Québec
Objet : Conformité du matériel didactique au programme ÉCR
Madame,
La mise en œuvre du programme Éthique et culture religieuse nécessite du matériel didactique de première qualité. D’autant plus qu’il s’agit d’une matière nouvelle et que plusieurs misent sur ce matériel pour suppléer la formation du personnel enseignant qui risque de demeurer rudimentaire en certains cas.
Déjà, grâce au Bureau d’approbation du matériel didactique, le Ministère dispose des moyens efficaces et éprouvés pour assurer la qualité des instruments pédagogiques à l’usage des enseignantes et des enseignants et de leurs élèves dans les divers programmes d’études. Les normes rigoureuses et transparentes font en sorte que le matériel pédagogique approuvé est fiable et pertinent, et l’ensemble du processus stimule la créativité tout en favorisant l’équité entre les maisons d’éditions. À ce chapitre, le modèle québécois est exemplaire.
Cependant, comme le programme ÉCR constitue une première et qu’il a dû être élaboré et approuvé dans des délais assez serrés, il se pose un problème qui mérite une attention particulière de votre part.
Avec raison, le BAMD demande une conformité exacte aux énoncés «prescriptifs» du programme qui a été approuvé (voir le critère 2 et la deuxième partie du critère 6, soit 6,2 dans les documents ministériels). Si tous et chacun se mettaient à modifier le contenu obligatoire, on risquerait de perdre ce qui a été jugé comme devant être le programme d’études à offrir aux élèves, non sans avoir nécessité d’importantes ressources pour l’élaboration, la consultation et l’implantation.
Le texte actuel du programme véhicule, sur la notion de «dialogue», une ambiguïté flagrante qui risque de semer la confusion : pour des raisons difficiles à saisir, il utilise ce terme dans un sens qui s’éloigne de l’emploi courant et surtout qui ne concorde pas avec celui que propose le programme de français. Dans le programme ÉCR, le dialogue en vient à englober un large éventail de pratiques langagières ou littéraires qui deviennent alors des «formes de dialogue», que ce soit le débat et même la narration. Dans le programme de français, le dialogue est une forme de communication parmi d’autres. On pourrait penser que le programme ÉCR se distingue en traitant le dialogue simplement en tant que valeur ou attitude, la lecture du texte nous révèle néanmoins qu’il s’agit vraiment d’une réalisation concrète qui fait appel à certains procédés très précis et plutôt techniques. Qui plus est, on réduit alors le dialogue à un exercice d’abord argumentatif, axé sur les «points de vue» élaborés et exprimés. Il est évident que la pertinence du sens accordé au terme dialogue est à juger dans l’ensemble des intentions et des aménagements du programme, ce qui dépasse le cadre de cette lettre. Là où le bat blesse, c’est dans la concordance avec le programme de français. Tout au long du primaire et du secondaire, les enseignants et les élèves seront confrontés à deux concepts divergents de «dialogue», d’autant plus que le programme ÉCR stipule que chaque SAÉ doit aborder le volet du dialogue, en lien avec un seul ou les deux autres volets. C’est dire qu’à chaque période, on réfèrera au dialogue dans un sens différent de celui utilisé lors des apprentissages en français! Un des buts du PFEQ ne consistait-il pas à instaurer plus d’interaction et de cohérence dans les apprentissages relatifs aux diverses disciplines scolaires?
Comme vous le savez, le processus de production du matériel didactique est maintenant enclenché et les règles font en sorte qu’aucun intervenant (ministériel ou éditeur) ne peut modifier le programme. J’imagine cependant que les fautes de français dans les énoncés du programme seront corrigées sans compromettre la conformité des publications soumises. Dans le texte actuel, par exemple, on a malencontreusement laissé un trait d’union à «Marie Guyart» que l’on présente parmi les personnages marquants du patrimoine religieux (sec. 1er cycle, p.81): les éditeurs auront certes l’aval du BAMD pour corriger l’inexactitude (car il ne s’agit pas de l’édifice éponyme) et ils éviteront ainsi de copier intégralement le texte officiel suivi d’un «(sic)» pour notifier qu’ils ne sont pas responsables de cette orthographe incorrecte et porteuse de confusion. Ce sera éventuellement le même réflexe de correction pour la définition «prescrite» de «l’appel au clan» (un des «procédés susceptibles d’entraver le dialogue», p. 71) : on peut y lire en effet une erreur d’accord à la fin de la phrase, «…par une personne ou un groupe de personnes jugé estimable ou non estimable». L’erreur est humaine, tout comme sa correction lorsqu’elle est possible. Mais qu’en est-il des autres écarts, sémantiques ou épistémologiques dans le cas présent, qui demanderaient à être rectifiés pour assurer la qualité de l’enseignement et de l’apprentissage? À ce stade-ci, on le comprendra, un éditeur ne peut aucunement se permettre de modifier les éléments prescrits ou même de demander quelque changement de ceux-ci : ce serait agir à l’encontre des règles établies.
Face au problème d’ambivalence conceptuelle du «dialogue», il n’y a que la Ministre qui peut intervenir pour assurer les mises au point qui s’imposent. Dans le respect des procédures en place, elle peut permettre aux responsables du BAMD de recourir à un mécanisme ad hoc pour pouvoir aménager maintenant les correctifs souhaitables sans léser les éditeurs qui préféreraient, à cause de l’avancement de leurs travaux, s’en tenir à la version initiale du programme approuvé.
Je vous demande instamment de prendre en considération ma demande qui soulève un aspect délicat de l’opération en cours, j’en conviens facilement. Si les enseignants et les enseignantes ont toute la latitude voulue pour s’approprier les éléments du programme et en faire une interprétation adaptée aux élèves, en évitant les malentendus éventuels, il en est autrement des productions didactiques qui seront approuvées, notamment en fonction de leur conformité à la lettre du programme, et qui ne jouissent d’aucune marge de manœuvre à cet égard. Par contre, toute irrégularité linguistique ou sémantique du matériel publié se retrouvera dans des centaines de classes et nuira à la qualité de l’éducation à l’école.
En espérant une réponse favorable, je vous prie d’accepter, madame la ministre, l’expression de mes sentiments distingués.
Roger Girard
[...]
Madame Michelle Courchesne
Ministre de l'Éducation, du Loisir et du Sport
Gouvernement du Québec
Objet : Conformité du matériel didactique au programme ÉCR
Madame,
La mise en œuvre du programme Éthique et culture religieuse nécessite du matériel didactique de première qualité. D’autant plus qu’il s’agit d’une matière nouvelle et que plusieurs misent sur ce matériel pour suppléer la formation du personnel enseignant qui risque de demeurer rudimentaire en certains cas.
Déjà, grâce au Bureau d’approbation du matériel didactique, le Ministère dispose des moyens efficaces et éprouvés pour assurer la qualité des instruments pédagogiques à l’usage des enseignantes et des enseignants et de leurs élèves dans les divers programmes d’études. Les normes rigoureuses et transparentes font en sorte que le matériel pédagogique approuvé est fiable et pertinent, et l’ensemble du processus stimule la créativité tout en favorisant l’équité entre les maisons d’éditions. À ce chapitre, le modèle québécois est exemplaire.
Cependant, comme le programme ÉCR constitue une première et qu’il a dû être élaboré et approuvé dans des délais assez serrés, il se pose un problème qui mérite une attention particulière de votre part.
Avec raison, le BAMD demande une conformité exacte aux énoncés «prescriptifs» du programme qui a été approuvé (voir le critère 2 et la deuxième partie du critère 6, soit 6,2 dans les documents ministériels). Si tous et chacun se mettaient à modifier le contenu obligatoire, on risquerait de perdre ce qui a été jugé comme devant être le programme d’études à offrir aux élèves, non sans avoir nécessité d’importantes ressources pour l’élaboration, la consultation et l’implantation.
Le texte actuel du programme véhicule, sur la notion de «dialogue», une ambiguïté flagrante qui risque de semer la confusion : pour des raisons difficiles à saisir, il utilise ce terme dans un sens qui s’éloigne de l’emploi courant et surtout qui ne concorde pas avec celui que propose le programme de français. Dans le programme ÉCR, le dialogue en vient à englober un large éventail de pratiques langagières ou littéraires qui deviennent alors des «formes de dialogue», que ce soit le débat et même la narration. Dans le programme de français, le dialogue est une forme de communication parmi d’autres. On pourrait penser que le programme ÉCR se distingue en traitant le dialogue simplement en tant que valeur ou attitude, la lecture du texte nous révèle néanmoins qu’il s’agit vraiment d’une réalisation concrète qui fait appel à certains procédés très précis et plutôt techniques. Qui plus est, on réduit alors le dialogue à un exercice d’abord argumentatif, axé sur les «points de vue» élaborés et exprimés. Il est évident que la pertinence du sens accordé au terme dialogue est à juger dans l’ensemble des intentions et des aménagements du programme, ce qui dépasse le cadre de cette lettre. Là où le bat blesse, c’est dans la concordance avec le programme de français. Tout au long du primaire et du secondaire, les enseignants et les élèves seront confrontés à deux concepts divergents de «dialogue», d’autant plus que le programme ÉCR stipule que chaque SAÉ doit aborder le volet du dialogue, en lien avec un seul ou les deux autres volets. C’est dire qu’à chaque période, on réfèrera au dialogue dans un sens différent de celui utilisé lors des apprentissages en français! Un des buts du PFEQ ne consistait-il pas à instaurer plus d’interaction et de cohérence dans les apprentissages relatifs aux diverses disciplines scolaires?
Comme vous le savez, le processus de production du matériel didactique est maintenant enclenché et les règles font en sorte qu’aucun intervenant (ministériel ou éditeur) ne peut modifier le programme. J’imagine cependant que les fautes de français dans les énoncés du programme seront corrigées sans compromettre la conformité des publications soumises. Dans le texte actuel, par exemple, on a malencontreusement laissé un trait d’union à «Marie Guyart» que l’on présente parmi les personnages marquants du patrimoine religieux (sec. 1er cycle, p.81): les éditeurs auront certes l’aval du BAMD pour corriger l’inexactitude (car il ne s’agit pas de l’édifice éponyme) et ils éviteront ainsi de copier intégralement le texte officiel suivi d’un «(sic)» pour notifier qu’ils ne sont pas responsables de cette orthographe incorrecte et porteuse de confusion. Ce sera éventuellement le même réflexe de correction pour la définition «prescrite» de «l’appel au clan» (un des «procédés susceptibles d’entraver le dialogue», p. 71) : on peut y lire en effet une erreur d’accord à la fin de la phrase, «…par une personne ou un groupe de personnes jugé estimable ou non estimable». L’erreur est humaine, tout comme sa correction lorsqu’elle est possible. Mais qu’en est-il des autres écarts, sémantiques ou épistémologiques dans le cas présent, qui demanderaient à être rectifiés pour assurer la qualité de l’enseignement et de l’apprentissage? À ce stade-ci, on le comprendra, un éditeur ne peut aucunement se permettre de modifier les éléments prescrits ou même de demander quelque changement de ceux-ci : ce serait agir à l’encontre des règles établies.
Face au problème d’ambivalence conceptuelle du «dialogue», il n’y a que la Ministre qui peut intervenir pour assurer les mises au point qui s’imposent. Dans le respect des procédures en place, elle peut permettre aux responsables du BAMD de recourir à un mécanisme ad hoc pour pouvoir aménager maintenant les correctifs souhaitables sans léser les éditeurs qui préféreraient, à cause de l’avancement de leurs travaux, s’en tenir à la version initiale du programme approuvé.
Je vous demande instamment de prendre en considération ma demande qui soulève un aspect délicat de l’opération en cours, j’en conviens facilement. Si les enseignants et les enseignantes ont toute la latitude voulue pour s’approprier les éléments du programme et en faire une interprétation adaptée aux élèves, en évitant les malentendus éventuels, il en est autrement des productions didactiques qui seront approuvées, notamment en fonction de leur conformité à la lettre du programme, et qui ne jouissent d’aucune marge de manœuvre à cet égard. Par contre, toute irrégularité linguistique ou sémantique du matériel publié se retrouvera dans des centaines de classes et nuira à la qualité de l’éducation à l’école.
En espérant une réponse favorable, je vous prie d’accepter, madame la ministre, l’expression de mes sentiments distingués.
Roger Girard
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