lundi 18 février 2008

Une culture religieuse insensible à la quête spirituelle

Le nouveau programme Éthique et culture religieuse, approuvé le 18 juillet, a été rendu public en septembre dernier. Il doit maintenant être assimilé par le personnel enseignant, car il deviendra obligatoire dans toutes les écoles primaires et secondaires du Québec en septembre 2008. Même si l'urgence actuelle invite à procéder rapidement à l'implantation en laissant de côté toute question sur le programme maintenant «officiel», il vaut encore la peine de s'interroger sur son contenu et sur sa portée éducative: après tout, les enseignantes et les enseignants n'agissent pas en simples automates appliquant un programme, si parfait soit-il. Aussi, l'exercice du jugement critique constituant une compétence de base dans le curriculum, l'appropriation d'un programme ne peut qu'être bonifiée par la prise en compte des interrogations à son égard.
Comparé aux versions précédentes, le programme actuel présente des améliorations notables, comme la simplification des énoncés et la sélection plus limitée et mieux articulée des contenus. Par ailleurs, il rappelle un fait important que les écrits antérieurs n'osaient pas exprimer: l'enseignement confessionnel catholique et protestant «s'ouvrait déjà sur la diversité culturelle et religieuse» (p.6) On ne connaît pas les motifs de ce silence finalement rompu, mais ce faisant les responsables ont raté une occasion de faciliter le passage au nouveau contexte et ont laissé dans l'ombre une précieuse expertise du personnel enseignant.Au-delà des changements apportés dans la dernière version, que nous ne reprendrons pas ici en détails, il importe de souligner un problème majeur du programme qui risque de perdurer, soit la conception très «intellectuelle», voire artificielle, de la formation en «culture religieuse». Qu'il suffise d'examiner ce que le préambule ajouté à la récente version vient préciser: «Il ne s'agit ni d'accompagner la quête spirituelle des élèves ni de présenter l'histoire des doctrines et des religions ni de promouvoir quelque nouvelle doctrine religieuse commune destinée à remplacer les croyances particulières.»
Ne pas s'en tenir à l'histoire des religions
Tout le monde conviendra que ce cours ne doive pas s'en tenir à l'histoire des religions ni être le lieu de promotion d'une nouvelle doctrine religieuse. Par contre, en excluant comme telle «la quête spirituelle des élèves», la formation en «culture religieuse» se déracine du terrain d'expérience du jeune. En empêchant ainsi une partie des liens significatifs avec ce que porte l'élève en lui-même comme représentations et comme questions, les «expressions du religieux» abordées en classe demeureront des objets anecdotiques, même si elles suscitent une réaction de curiosité. À moins qu'elles ne servent à renforcer les stéréotypes et les préjugés…Le programme actuel, dont les premières ébauches s'adressaient à la fin du secondaire [la loi 118 avait déjà établi un programme ainsi nommé pour la fin du secondaire, bien qu’aucune version n’ait réussi à obtenir l’approbation officielle], semble prendre pour acquis que les jeunes d'âge scolaire sont en mesure de s'intéresser au «phénomène religieux» à l'instar des étudiants du collégial ou même de l'université. Or, ces derniers vont plus naturellement établir par eux-mêmes des liens avec l'existence humaine. La «compréhension du phénomène religieux» ici proposée est certes accessible et très souhaitable pour les enseignantes et enseignants, mais ne saurait modeler des apprentissages viables, adaptés et significatifs chez les jeunes du primaire et du secondaire, d'autant plus qu'il faudra éviter de tenir compte de tout ce qui s'apparente à une «quête spirituelle», autant dire de tout ce qui ne relève pas strictement de la connaissance factuelle et de la compréhension «objective». Le programme fut élaboré selon un processus plutôt hermétique bien que ponctué de diverses consultations, dont il demeure très difficile de connaître la teneur exacte. Les données de l'expérimentation dans les huit écoles sélectionnées permettront sans doute de vérifier le bien-fondé de nos appréhensions, comme nous pouvons en avoir une idée avec l’article paru il y a quelques jours dans La Presse. La lecture de deux autres documents disponibles vient confirmer, notamment, la «frilosité» du programme face au questionnement de sens.
La quête de sens
Dans son avis de janvier dernier, le Comité-conseil sur les programme d'études avait déjà déploré que «la quête de sens, qui fait partie du processus identitaire des jeunes, n'est pas prise en compte»(p.5), ce qui va de pair avec le peu de considération des «centres d'intérêt de tous les élèves» (p.6) : une faiblesse constatée à la lumière même des principes du Programme de formation de l'école québécoise et qui manifestement affecte toujours la dernière version.
De plus, la consultation des groupes confessionnels et autres ainsi que de certaines personnes-ressources sur les aspects religieux du programme, que le Comité sur les affaires religieuses a menée à la demande expresse de l'autorité ministérielle, a pointé elle aussi comme carence majeure le peu de lien avec le questionnement du jeune.
À cet égard, le rapport sur la consultation mentionne que «pour presque tous les répondants chrétiens consultés [sans exclure les autres], il manque la dimension essentielle de la quête de sens» (p.42) ; il intitule même une partie des commentaires «Expérience religieuse évacuée» (p.18). On y apprend notamment que «malgré deux types différents de sensibilité et de préoccupations, les religieux et les spécialistes sont assez d'accord pour mettre en cause le morcellement des religions, qui élude du même coup l'expérience religieuse, comprise comme le cœur de la démarche religieuse»(p.92).
Expérience religieuse
Le rapport situe alors «la dimension expérientielle [comme un] élément essentiel de la culture religieuse». Malheureusement, cette lacune persiste malgré l'ajout d'un nouveau thème, «Expérience religieuse», au deuxième cycle du secondaire; qui plus est, cette notion se rapporte alors à «une dimension essentielle pour des personnes ou des groupes liés à une religion», comme si les gens sans appartenance confessionnelle n'étaient pas susceptibles de vivre l'expérience religieuse ou spirituelle… Les auteurs qui utilisent le concept «dimension religieuse ou spirituelle» y accordent une portée universelle entrant dans la conceptualisation de ce qu'est la personne humaine.
La position du Comité sur les affaires religieuses s'avère tout aussi éclairante. Dans son avis Le cheminement spirituel des élèves: Un défi pour l'école laïque (2007), celui-ci affirme que «les différentes disciplines du programme de formation sont également porteuses de sens et propices à favoriser le cheminement spirituel de l'élève» (p.34), et ceci en vue de son épanouissement, comme le stipule l'article 36 de la Loi sur l'instruction publique.
Il faut admettre que s'il est une discipline dont on ne saurait nier la contribution dans cette responsabilité que partage toute l'équipe-école, c'est bien Éthique et culture religieuse: une telle discipline, reliée au domaine du développement personnel, est logiquement vouée à offrir à l'élève des outils conceptuels pour mieux se comprendre et mieux se réaliser. Bien que le Comité demeure plutôt discret sur le rôle dévolu à cet enseignement en particulier, il apporte des explications convaincantes sur l'importance de la prise en compte du «cheminement spirituel» en éducation scolaire.
Risque de décevoir les parents
Enfin, par son refus de tenir compte du questionnement de sens et de la quête spirituelle, le programme risque grandement de décevoir les attentes des parents. Par exemple, on ne peut que douter que le nouveau programme commun réponde vraiment aux vœux exprimés par la Fédération des comités de parents; l'organisme, tout en apportant son appui au projet de loi 95 lors de la commission parlementaire en 2005, a insisté pour que le cours ne se limite pas à donner de l'information sur les diverses religions et courants de pensée humaniste mais qu'il favorise pleinement l'éducation des jeunes sur tous les plans, pour les aider à se définir dans le monde actuel. Et dernièrement, les résultats de sondage présentés à l'émission Il va y avoir du sport le 19 octobre montrent que la moitié de la population préfère l'enseignement religieux confessionnel au nouveau programme: le pourcentage s'amplifierait sans doute si les sondés connaissaient davantage ce qu'il en est de ce programme obligatoire.Que le programme Éthique et culture religieuse ne se consacre pas seulement pas à «accompagner la quête spirituelle» semble tout à fait justifiable, mais de là à exclure cette préoccupation, c'est pour le moins inquiétant: l'ouverture et l'efficacité des apprentissages mis en oeuvre se trouvent fortement compromises. Au lieu de miser sur l'exercice d'une empathie professionnelle face à ce qui est vécu au plan religieux, le programme dresse une barrière interdisant de tenir compte des interrogations relevant de toute évidence du savoir religieux ou du rapport au savoir religieux. Espérons que les enseignantes et les enseignants, en dépit de la rhétorique des sessions d'implantation, s'approprient le programme en conservant cette dose de réalisme qui doit déterminer leurs interventions éducatives auprès des jeunes.

N.B. Le présent texte reprend, avec quelques ajouts de mise à jour et de référence, l’analyse publiée le lundi 19 novembre 2007 sur le site du journal LE SOLEIL.

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