jeudi 7 août 2008

Georges Leroux mise sur une signification du dialogue absente du programme ÉCR (Dossier du CRIFPE, prise 2)

Le récent bulletin du CRIFPE, Formation et Profession, porte sur le programme Éthique et culture religieuse. Comme c’est le cas pour chaque dossier, il présente le compte rendu d’une rencontre avec un témoin privilégié du domaine. Des questions furent donc posées au professeur Georges Leroux, qui a collaboré de près à l’élaboration du programme.

Parmi les explications apportées par le réputé philosophe qui est intervenu à maintes reprises sur le sujet, peu de choses vraiment nouvelles, si ce n’est sur la question du dialogue.

On se rappellera que ce thème fait l'objet d’une compétence disciplinaire («pratiquer le dialogue») sensé faire le lien entre les deux autres («réfléchir sur des questions éthiques« et «manifester une compréhension du phénomène religieux»). Mais, de toute évidence, le dialogue tel que véhiculé par le programme est de nature plutôt rationnelle et philosophique et l’on peut douter qu’il puisse nourrir le développement d’une culture religieuse authentique. J’ai fait état de cette difficulté dans mon billet «Les limites du dialogue argumentatif en ÉCR» http://ethiqueetculturereligieuse.blogspot.com/2008/02/les-limites-du-dialogue-argumentatif-en.html

Voulant résumer les principales composantes du programme, Georges Leroux en vient à apporter des distinctions sur le dialogue que le programme ne fait pas et à défendre la valeur du programme sur la base de ces ajouts. Il expose ainsi que les volets «éthique» et «culture religieuse» ne font pas appel au dialogue de la même manière, ce dont nous pouvons nous douter facilement mais dont le programme n’a aucunement tenu compte. Voici un extrait de l’entrevue :

«Le dialogue qui est commun à toutes les entreprises de ce cours n’a pourtant pas tout à fait le même sens en éthique et en culture religieuse : un dialogue en éthique est d’abord une recherche commune d’un consensus ou d’une décision, pour élaborer un point de vue et déterminer une réponse collective correcte à un problème. Le dialogue est alors constructif; c’est par lui que s’élaborent non seulement la démarche, mais la réponse à la question. Dans un dialogue authentique, les partenaires doivent être prêts à renoncer à ce qu’ils considéraient au départ comme des certitudes, si l’échange les amène dans cette direction. Tel n’est pas le cas du dialogue dans une démarche de culture religieuse : il s’agit alors d’apprendre d’abord à écouter l’autre, à le reconnaître dans sa singularité, pour ensuite le respecter et développer avec lui une relation harmonieuse et sereine. Le dialogue sur les questions religieuses ou séculières, qui sont à cet égard des domaines identiques par leurs bases de convictions, ne peut donc se proposer les mêmes perspectives critiques ou dialectiques que dans le domaine éthique. Le programme incitera donc les jeunes à comprendre les deux grands types de dialogue : le dialogue constructif, dont la forme suprême est la délibération commune, et le dialogue de respect, dont la forme ultime est la reconnaissance.» (Les caractères gras sont de nous)

En fait, le programme ne parle que d’un type de dialogue, soit celui convenant à l’éthique, selon la perspective ici présentée par Leroux. Pour s’en convaincre, il suffit de lire la description de la compétence et de ses composantes, ainsi que les critères d’évaluation et le contenu de formation. Tout est centré sur l’organisation de sa pensée, les points de vue exprimés, les conditions favorables et défavorables à la qualité des échanges en classe, etc. Les sessions de formation n’ont présenté que ce type de dialogue et le matériel didactique approuvé doit impérieusement s’en tenir à ce qui est déterminé dans le programme officiel.

Par ailleurs, si l’idée du professeur Leroux avait été retenue lors de l’élaboration du programme, il se poserait un grave dilemme à chaque fois qu’un thème abordé suscite des questions à la fois du côté de l’éthique et du côté de la culture religieuse, et cette éventualité risque d’arriver souvent puisque le programme suggère de préparer des situations d’apprentissage et d’évaluation qui mettent en interactions plus d’un thème et qui développent, si possible, les trois compétences disciplinaires. Imaginons le problème du choix du type de dialogue lorsque les deux volets sont en jeu : partager le temps entre le «dialogue constructif» et le «dialogue de respect», alterner de type à chaque cas, demander aux élèves d’opter pour l’un ou l’autre type de dialogue, tirer au sort, se fier à «l’instinct professionnel», faire un mélange des deux?

Décidément, cette remarque sur le dialogue révèle la fragilité de la structure même du programme. Au plan conceptuel, un des principaux défis que devait relever le nouveau programme Éthique et culture religieuse consistait à fonder et à articuler les deux volets rassemblés dans un programme dorénavant non confessionnel. Et comme solution, avec le dialogue, on semble n’avoir rien trouvé de mieux que de reporter le problème aux «usagers» du programme (soit aux enseignants et aux élèves, mais surtout aux enseignants) : le développement de la compétence du dialogue permettrait de parvenir, comme par enchantement, à la synthèse de l’éthique et de la culture religieuse. Plus besoin de se morfondre à définir les choses dans un programme d’études débarrassé du «paradigme de l’enseignement» puisque les «situations d’apprentissage et d’évaluation» comptent sur les capacités émergentes des élèves. Le Comité-conseil des programmes d’études, dans son avis d’approbation en janvier 2007 (p.3s), avait toutefois maintenu qu’il faudrait expliciter davantage les liens entre les deux volets, affirmant «qu’en l’absence des assises qui sous-tendent ce regroupement, le travail visant à favoriser le développement des compétences de manière conjointe sera difficile pour le personnel enseignant». Malheureusement, la version finale n’apporte aucune autre explication à cet effet … Faute de combler cette dangereuse lacune dans le programme, divers expédients seront utilisés sur le terrain, au risque de porter préjudice au développement de l’un ou l’autre des volets. Au risque également de susciter des mésententes, voire des affrontements, qui auraient pu être évités.

Si la compétence sur le dialogue, qui est appelée à servir de «socle» aux deux autres, s’avère plutôt bancale, que peut-on attendre comme résultat de l’ensemble de ce programme d’études? Même si l’on compte parfaire la préparation du personnel enseignant après le début de son application en septembre 2008…

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