mardi 29 juillet 2008

Selon des formateurs universitaires en Éthique et culture religieuse, les enseignants ne seront pas prêts (Dossier du CRIFPE, prise 1)


Dans le dernier numéro de son Bulletin «Formation et Profession», le Centre de recherche interuniversitaire sur la formation et la profession enseignante consacre un dossier au nouveau programme Éthique et culture religieuse, qui sera obligatoire en septembre prochain dans toutes les écoles primaires et secondaires du Québec. Rappelons que le CRIFPE, une institution des plus respectées en sciences de l’éducation, édite cette publication (http://www.formation-profession.org/) pour «favoriser le transfert des connaissances entre les milieux de pratique et la recherche» : même s’il remplit d’abord un rôle de vulgarisation et d’échange entre toutes personnes intéressées, ce bulletin n’en demeure pas moins hautement crédible, ne serait-ce que par le statut des auteurs qui y collaborent.

Le lecteur ne sera pas surpris que l’on y reprenne tous les espoirs véhiculés par le nouveau programme par le biais de ses diverses composantes. Il s’agit d’un exposé déjà connu qui a le mérite de rappeler les motifs et le contexte des décisions gouvernementales en la matière. Donc, hormis quelques éléments de réflexion sur le programme, rien de nouveau dans l’argumentaire centré sur l’importance d’outiller la jeune génération face à notre société vue avant tout comme marquée par le pluralisme et la diversité religieuse et idéologique. Bien que plusieurs questions soulevées méritent d’être examinées avec une grande attention (ce que nous ferons sur ce blogue), le présent commentaire se limitera à mettre en lumière une donnée factuelle cruciale dont témoigne clairement le dossier.

La principale information que nous devons retenir de ce dossier, c’est que les enseignants et les enseignants qui seront responsables de cette matière en septembre 2008 n’auront pas la formation (ou la compétence) nécessaire pour bien appliquer ce nouveau programme, pour être en mesure d’aménager et de faire vivre des apprentissages significatifs et durables.

Dans l’exposé éditorial, le professeur Jean-Pierre Proulx, «rédacteur délégué», postule que «la formation des quelque 26 000 enseignants du primaire et de plus de 8 000 du secondaire sera, au mieux, minimale, malgré les efforts qui sont menés cette année» (en 2007-2008). Si la formation est ici jugée «au mieux, minimale», c’est dire que dans plusieurs cas particuliers, voire la majorité, la formation n’atteindra pas ce stade qui permette de maîtriser suffisamment le domaine, d’intervenir avec une assurance convenable en suscitant l’indispensable confiance des élèves, des collègues et des parents… Plus loin, la contribution de deux universitaires associées à la formation des formateurs d’enseignants s’avère très éloquente sur le déficit de préparation des enseignants qui seront chargés de ce programme. Leurs observations, livrées avec sincérité, proviennent d’un travail sur le terrain, couvrant alors une bonne partie du Québec, soit l’Île de Montréal, la région de Laval, des Laurentides et de Lanaudière et la région Mauricie–Centre-du-Québec. Expliquant les diverses modalités mises en œuvre et les démarches entreprises pour parvenir à former le personnel enseignant, les deux professeures ne peuvent s’empêcher de signaler la précarité des résultats.

Ainsi, Mireille Estivalèzes, de l’Université de Montréal, en vient à dire qu’il «est évident que ni les nouveaux enseignants ni ceux qui sont déjà en fonction n’auront complété leur formation à temps. Ils ne seront donc pas complètement prêts pour la rentrée de septembre 2008». Pour elle, «la question essentielle qui se pose donc est celle du temps qu’il faudra nécessairement consacrer à une formation de qualité des enseignants, notamment en formation continue. Ce temps ne paraît pas toujours suffisant et son manque engendre une certaine pression sur les formateurs et les enseignants. Certains maîtres du primaire en activité ne disposent que d’une journée dans l’année [2007-2008] pour se familiariser avec le programme, ce qui est insuffisant.»

De son côté, Suzanne Rousseau, de l’UQTR, livre un article au titre des plus significatifs : «La formation des enseignants : le défi d’une génération». Déplorant le manque de ressources allouées, elle mentionne que «les 45 heures offertes aux enseignants-formateurs [sur les premiers thèmes] et déjà considérées insuffisantes par tous ont été réduites à une journée et demie» par la suite… Forte de son expertise, elle fait état de difficultés majeures, telles que des «carences importantes sur le plan des savoirs pertinents, tant en éthique qu’en culture religieuse, la complexité de la formation au dialogue au niveau tant de la maîtrise du contenu que de l’évaluation, notamment aux premiers cycles du primaire», la préparation quasi irréalisable de «situations d’apprentissage et d’évaluation» qui traitent à la fois deux ou trois compétences disciplinaires, alors que cette approche promue par le renouveau pédagogique n’est pas encore assimilée par le personnel…L’auteure évoquera même en conclusion que c’est seulement lorsque des jeunes qui auront suivi ce programme depuis l’élémentaire s’inscriront à un baccalauréat en enseignement que nous pouvons espérer disposer enfin d’enseignants réellement aptes en Éthique et culture religieuse…

Pour assurer la réalisation des apprentissages visés, le programme exige que le personnel enseignant adopte la «posture professionnelle» appropriée. L’expression fait référence au besoin d’ouverture à l’échange avec les élèves, d’objectivité et d’impartialité dans ses propos, d’engagement dans une communauté de recherche, etc. Selon les auteurs du dossier, le développement de ces attitudes indispensables «ne va pas de soi chez les enseignants». Si l’acquisition des connaissances nouvelles représente un défi accessible en y consacrant temps et efforts, ce dont les enseignants sont habitués lorsqu’ils sont chargés d’un nouveau programme (quitte à meubler ainsi une partie des vacances), il en est tout autrement en ce qui concerne cette «posture» qui fait appel à des habiletés psychosociales et communicationnelles. Il faut admettre qu’enseigner un autre programme de français ou d’histoire pour quelqu’un qui travaille déjà dans cette discipline ne constitue pas un défi de taille comme en ÉCR. Dans ce dernier cas, en plus des connaissances à s’approprier sur les diverses religions, il importe aussi de développer des aptitudes personnelles quant à la manière d’aborder les questions d’éthique et de culture religieuse et surtout quant à la manière d’amener les élèves à pratiquer le dialogue tel que promu par le programme. Sans cette «posture professionnelle», les élèves risquent non seulement de rater les compétences disciplinaires escomptées, mais aussi de faire la malheureuse expérience de situations à l’inverse de ce que promeut le programme : non-respect des personnes et de leurs positions, ancrage de préjugés à l’égard de tels types de croyants ou de non-croyants, banalisation du fait religieux et des questions éthiques, repliement sur ses opinions personnelles au lieu d’une maturation conceptuelle des questions religieuses et morales…

Le constat du manque de formation révélé par le dossier du CRIFPE ne peut laisser indifférent, d’autant plus qu’aucune évaluation globale n’a été rendue publique par les responsables ministériels ou autres. Il ne faut pas s’étonner que des parents qui suivent de près ce qui se passe à l’école redoutent les effets possiblement nuisibles sur le développement de leurs enfants et sur leurs perceptions de la religion et de l’éthique. Peu importe que l’on partage ou non le caractère obligatoire et le contenu du programme, les conditions de sa mise en application en septembre prochain ne sont guère rassurantes au chapitre la qualité de l’éducation.

Roger Girard

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